Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/789

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La Russie lui offrait sans doute une alliance plus forte et qui mettait un plus grand poids dans la balance politique de l’Europe, mais son but principal était d’entrer dans la famille des rois, et, dans cette grande famille, la maison de Russie était nouvelle en comparaison de la maison d’Autriche. En choisissant une archiduchesse, il s’unissait à la plus antique race souveraine, après celle de France. Il épousait une petite-fille de Marie-Thérèse, dont Louis XVI avait épousé la fille. En France, il n’y avait aucun doute que cette alliance, tout à fait inespérée, ne dût frapper les esprits beaucoup plus que ne le pourrait faire l’alliance russe. Son choix ne fut donc pas longtemps douteux.

Pour garder dans une si grande occasion toutes les apparences d’une prudente délibération, il jugea à propos d’assembler un conseil extraordinaire où furent appelés le roi de Hollande, le vice-roi d’Italie, le cardinal Fesch, les grands dignitaires, les ministres, les présidens du sénat et du corps législatif. Le résultat de la délibération fut favorable au mariage avec l’archiduchesse ; cependant on sut que les avis avaient été partagés et que l’archichancelier et M. Fouché avaient exprimé leur préférence pour le mariage avec la grande duchesse russe. On sut aussi que M. de Talleyrand, qui s’était déclaré pour l’Autriche, avait tenu dans cette discussion une place fort importante ; la raison de sa décision avait été principalement tirée de la solidité qui se rencontrait ordinairement dans les résolutions et la politique de l’Autriche. « Cette puissance, dit-il, est la seule qui ait en Europe un cabinet dont l’influence survive à la durée de chaque règne, qui soit par conséquent en état de concevoir, d’adopter et de suivre persévéramment un plan de conduite. Par la proposition qu’il fait aujourd’hui, ce cabinet prouve qu’il veut s’associer à la fortune de la dynastie impériale qui règne aujourd’hui sur la France ; il reconnaît l’iniquité, la folie du système contraire dans lequel il a marché depuis dix ans et dans lequel il vient de faire son dernier effort. Puisqu’il a pris cette résolution, il y persistera, si elle est accueillie comme elle me paraît mériter de l’être, et l’empereur Napoléon léguera à sa descendance tous les avantages de l’union qu’il aura contractée aujourd’hui. Je sais bien qu’on peut me dire que la Russie est dans les mêmes intentions ; mais voici la différence : dans ce pays tout tient à la volonté d’un homme ; il n’y a de politique que la sienne ; tout finit avec la durée d’un règne, tout prend sous le règne suivant un aspect nouveau. Je suppose donc que l’empereur Napoléon épouse la grande-duchesse et que nous sommes, au bout d’une année, assemblés dans ce cabinet autour de cette même table ; la porte s’ouvre, on annonce l’arrivée d’un courrier, et ce courrier apporte la nouvelle