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confia, avec ceux qu’il s’était déjà procurés, à M. d’Hauterive, conseiller d’État, garde du dépôt des archives étrangères, auquel il intima l’ordre d’en faire l’examen le plus approfondi, et de présenter à bref délai un rapport sur la conduite des personnes qui avaient trempé dans cette intrigue.

Sans attendre la remise du rapport, il n’hésita pas, dès le premier conseil qui se tint à Saint-Cloud, à faire tomber sur M. Fouché tout le poids de son mécontentement. Entre les reproches dont il l’accabla, on remarqua celui de s’être entendu avec M. de Talleyrand pour conduire ces coupables manœuvres ; puis, ajoutant l’ironie au reproche : « Vous vous croyez bien fin, lui dit-il, et vous ne l’êtes guère cependant ; c’est Talleyrand qui est fin, et dans cette occasion il vous a joué comme un enfant, il a fait de vous son instrument. » M. Fouché n’hésita pas à tout prendre sur lui et déclara qu’il n’avait été inspiré que par son ardent désir d’être utile à l’empereur, au pays, et par la conviction qu’il pouvait leur rendre le plus grand des services. Pendant que ce conseil se tenait, le duc de Rovigo, aide de-camp de l’empereur, commandant la gendarmerie d’élite, avait été chargé d’arrêter M. Ouvrard, qu’on savait de retour à Paris depuis quelques jours. Pour arriver à le joindre, on fit proposer par Mme Hamelin, femme galante et intrigante, avec laquelle ils étaient l’un et l’autre assez liés, une entrevue chez elle, sous prétexte d’arranger les différends survenus entre le général Rapp et sa femme, fille de M. Vanderberg, ancien associé de M. Ouvrard. Celui-ci se laissa prendre à ce piège, et, à peine arrivé chez m’ Hamelin, il se vit environné de gendarmes qui le conduisirent à l’Abbaye. Le lendemain, M. de Rovigo fut nommé ministre de la police, et M. Fouché, duc d’Otrante, gouverneur de Rome.

L’empereur avait beaucoup hésité sur le choix de ce nouveau ministre, et M. de Sémonville avait pu se croire préféré. On a même su qu’étant venu dîner à Saint-Cloud chez M. Maret, qui s’agitait beaucoup en sa faveur, et s’attendant à prêter serment avant la fin du jour, il avait eu le soin d’apporter son habit de sénateur. Mais, dans le cours de la matinée, les résolutions de Napoléon avaient changé. Il avait fait appeler le duc de Rovigo et lui avait annoncé sa nomination, toutefois avec défense d’en parler à qui que ce fût. Lui aussi dînait ce jour-là chez M. le ministre secrétaire d’État, où il rencontra M. de Sémonville ; le soir même, M. Maret eut le déplaisir d’avoir à rédiger le décret qui mettait son ami de côté, et ce fut le duc de Rovigo qui prêta serment à sa place. Napoléon avait évidemment redouté la finesse et les habitudes un peu cauteleuses de M. de Sémonville, qu’il connaissait