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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/801

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de longue main. Il avait craint de rencontrer en lui un ministre dont il lui faudrait, sous d’autres rapports, se défier presque autant que de M. Fouché, et, voulant un homme qui ne fût, en toutes circonstances, qu’un docile instrument, il s’était décidé pour l’aide-de-camp dont il avait, en tant d’occasions, éprouvé le dévoûment.

Lorsque ce choix fut connu, il causa un grand étonnement. Le duc de Rovigo était généralement considéré comme toujours prêt à exécuter au moindre signe les volontés de son maître, quelque rudes qu’elles fussent ; or, on se disait qu’un tel maître aurait eu besoin, au contraire, de rencontrer, dans celui qui était appelé à lui rendre la nature de services que comporte le ministère de la police, des dispositions modératrices. J’aurai bientôt à dire ce qui advint de cette crainte qui eut tant d’influence sur ma destinée.

M. d’Hauterive fut promptement en état de présenter le travail qui lui avait été demandé. Il n’hésita pas à établir que les démarches faites par M. Ouvrard, d’après l’ordre de M. Fouché, étaient de la dernière indiscrétion, et que cette indiscrétion, qui pouvait entraîner pour celui qui se l’était permise la perte de toute confiance, serait encore justement traitée de criminelle dans le cas où on y rencontrerait la moindre apparence de mauvaise intention ; il affirma en même temps qu’il lui avait été impossible de découvrir cette apparence, et ajouta que rien ne lui avait indiqué, d’une manière qui méritât la moindre créance, que M. de Talleyrand eût été de connivence avec le ministre de la police. En concluant ainsi, le rapporteur n’avait évidemment parlé que d’après les pièces dont l’examen lui avait été confié, et en mettant de côté ses renseignemens personnels, car je tiens de lui-même que, peu de jours auparavant, il avait vu entre les mains de M. de Talleyrand un des documens que Fouché avait été obligé, depuis, de remettre à l’empereur. Celui-ci ne fut nullement content du travail de M. d’Hauterive, si peu même que son impatience éclata au milieu de la lecture et qu’il lui arracha le cahier des mains en lui disant que ce n’était pas la peine de continuer, qu’il n’avait rien compris à cette affaire.

M. d’Hauterive, s’il faut l’en croire, car presque tous ces détails m’ont été fournis par lui, eut, en cette occasion, plus de caractère qu’on ne lui en aurait supposé ; il insista pour qu’on voulût bien achever de l’entendre, reprit son cahier et poursuivit sa lecture. À la fin, Napoléon se radoucit et, voyant bien qu’il lui serait impossible d’obtenir plus de lumière, laissa éclater sa colère contre M. Ouvrard, en déclarant que, puisqu’il le tenait en prison, il l’y garderait longtemps. « Ce misérable, ajouta-t-il, me coûte déjà deux ministres. » Le regret pouvait être sincère à l’égard de M. de