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chaussé de bottes fortes, debout derrière le roi qui, la couronne en tête, le globe dans une main et le sceptre dans l’autre, s’apprête à entendre lecture d’une adresse du Landtag prussien, lui bouchant les oreilles de ses larges paumes et coupant la parole à l’orateur : « Il existe une limite aux choses que peut écouter un roi de Prusse. » Ou bien c’était, sur une place publique, le chapeau de Bismarck au bout d’un bâton, gardé par de solides fusiliers : les députés passaient et saluaient tout bas. Ou bien encore, c’était le Landtag, figuré par un gros poisson recroquevillé dans un baquet étroit, et le premier ministre s’appliquant à le persuader : « N’est-ce pas, c’est ce qui s’appelle tourmenter les animaux ? Il faut ou que je te tue ou que je te tire de ton élément naturel. Ne vaut-il pas mieux te résoudre de bonne grâce à la mort ? » Ou bien enfin, c’était M. de Bismarck, en Mignon, exécutant la danse des œufs. Les œufs s’appelaient constitution droit, élections, réformes, libertés, lois sur la presse, et M. de Bismarck tournait et virait et montrait ses grâces, les effleurant tous, n’en cassant aucun. N’en cassant aucun serait trop dire : il faisait bien un peu craquer la coque. Mais le succès justifie tout, et Sadowa, en 1866, avait été pour M. de Bismarck une absolution générale. La Prusse, au résumé, ne s’était pas mal trouvée de ce qu’il avait donné quelques chiquenaudes à la constitution.

Aussi menaçait-il de recommencer. Il en menaçait le Reichstag allemand comme le Landtag prussien et le Reichstag de 1890 comme celui de 1887. Les députés avaient eu beau, depuis 1887, se retrancher derrière le septennat, protester qu’ils ne feraient point un pas de plus ; qu’un pfennig de plus, ils ne le voteraient pas, le chancelier n’en tenait nul compte et tranquillement, le poing sur la hanche, déposait ses demandes de supplément de crédits : il lui fallait, pour l’artillerie, 3,000 hommes et li,000 chevaux ; il lui fallait aussi de l’argent pour la marine, peu de chose au total, 27 millions. Huit mois après, c’était six millions de marks qu’il fallait pour l’armée et 2,500,000 marks pour la marine, sans préjudice de 34 millions de marks une fois payés pour la marine et, pour l’armée, de 140 millions une fois payés[1]. Dans tous les camps on se lamentait : les plaintes de M. Windthorst faisaient écho à celles de MM. Bebel et Richter. M. Richter poussait des cris désespérés : « c’est le système de la vis sans fin, que l’on serre toujours. » À quoi le ministre de la guerre, le général Bronsart de Schellendorff, répondait sans en être touché : « On a parlé d’une vis à pression continue ; mais, en Allemagne, cette vis est plus facile à tourner qu’ailleurs. » De concession en concession, le

  1. Archives diplomatiques, années 1888, 1889, 1890.