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était particulariste, l’Allemand l’était au moyen âge, — les libertés publiques sont nées dans les forêts de la Germanie. « La variété et l’indépendance des territoires, des districts, des villes, des communes, sont pour les Allemands d’invincibles besoins.» Ce n’est pas tout. Diverses confessions religieuses se partagent l’empire. Deuxième contradiction : le nord est luthérien, le sud est catholique. De nombreux Israélites, disséminés partout, engendrent l’antisémitisme. L’État allemand doit, par suite, être neutre. Troisième contradiction : il y a, dans l’empire, des peuples alliés et des peuples soumis ; ceux qu’en Allemagne même on appelle « les étrangers,» Polonais, Danois et « Français » (Alsaciens-Lorrains) sont des « soumis, » c’est-à-dire des mécontens. L’empire a, de leur part, peu de chose à redouter, puisqu’ils sont noyés, perdus dans la masse allemande. « On ne saurait avoir avec eux de véritable communion. » La quatrième contradiction réside dans l’opposition, très accentuée en Allemagne, entre l’élément aristocratique et l’élément démocratique ; opposition qui se fait jour, qui est marquée, non-seulement dans chaque État, mais entre les deux parties de l’empire, le nord aristocrate, le sud démocrate ; qui n’est, à cet égard, qu’une face, un aspect de l’opposition radicale, primordiale, entre l’Allemagne du Nord et l’Allemagne du Sud.

Certes, entre le nord et le sud, « les angles les plus vifs se sont fondus au feu des batailles de 1870, puis ont été vigoureusement battus par les hommes d’État de 1871. » Mais, pour s’être émoussés sous l’épée et le marteau, les angles n’en subsistent pas moins. « L’État prussien est trop nord allemand pour donner pleine satisfaction aux Allemands du Sud. Ceux-ci, plus favorisés par le sol et par le climat, sont peut-être disposés à se faire la vie douce (c’est ce qu’enseigne leur dicton : Sich bequem machen) ; ils ont besoin de la dure école prussienne pour accomplir pleinement leurs devoirs publics. Mais il faut aussi que le nord se complète et s’ennoblisse par les aimables qualités de l’Allemagne du Sud. L’union intime, la fusion de ces deux Allemagnes morales fera l’Allemagne. Tant que l’opposition, tant que la contradiction n’est pas mieux effacée, « le droit constitutionnel allemand ne saurait la méconnaître. » L’empire a devant lui un problème difficile : respecter les besoins et les habitudes « sans porter atteinte à l’unité nationale et à la puissance publique. » Ce problème difficile, la Prusse l’a-t-elle résolu ? Oui, pour les Allemands du Nord. Pour le peuple entier (für die ganze Nation), pour l’Allemagne entière, elle a seulement « préparé la solution. »

Soit donc : la Prusse « a grandement rempli » sa mission allemande ; en quoi consiste cette mission, comment se la représente-t-elle ? quel en est le principal objet, quels sont ses moyens