Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/910

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

particuliers comme une transition entre l’ancienne confédération particulariste et l’absorption future dans l’État unitaire allemand-prussien. »

Dans cette hypothèse, où l’empire actuel ne serait encore qu’un compromis, qu’un acheminement vers l’État parfait, combien de temps durerait la période de transition ? « Elle peut durer longtemps, la vie d’une couple de générations peut-être, si les princes particuliers se pénètrent de leurs devoirs envers leurs États et savent être fidèles à l’empire. Sinon, leur chute ne tarderait guère. » Bluntschli ne se met pas en peine de chercher une périphrase : « La fidélité des dynasties princières à l’empire est la condition de leur sécurité. En se soulevant contre lui par une fausse gloire ou un faux point d’honneur, elles iraient à leur perte. L’empire n’est possible que par la paix et l’amitié des États qu’il rassemble. La révolte de l’un d’eux ou même de tous, sauf la Prusse, aboutirait certainement au triomphe de l’empire, et les dynasties imprudentes subiraient irrévocablement le sort des princes de Hanovre, de la Hesse électorale et de Nassau, en 1866[1]. »


Par la politique, la psychologie, le droit constitutionnel, le droit public, l’histoire, par la théorie, l’Allemagne contemporaine s’éclaire d’une lumière plus vive. La politique nous montre un parlement dissous deux fois à six ans d’intervalle pour avoir repoussé des crédits militaires, le Reichstag de 1887 accordant ce que le précédent Reichstag avait refusé, les partis se désagrégeant et l’opposition grandissante, le conflit toujours à l’état latent, souvent ouvert, presque chronique. La psychologie nous révèle deux esprits, deux âmes en Allemagne, esprits divers, opposés même, dans leurs façons de penser en toute matière et d’abord sur cette question militaire où se condense et se résume la vie allemande. Le droit constitutionnel nous apprend qu’il y a dans l’empire un parlement, un Reichstag, mais que, s’il est récalcitrant, l’empereur peut quasi-légalement se passer de lui et a les moyens de le taire. Le droit public nous prouve que l’empire allemand est un État d’une espèce particulière, l’État fédératif, où le pouvoir central ne cesse pas de s’accroître, même par le conflit, toujours imminent, là aussi. L’histoire ajoute que l’empire est issu de l’association de plusieurs États, issus auparavant d’une multitude de principautés, de duchés, de communautés libres, et la théorie insinue que l’État fédératif actuel n’est peut-être à son tour qu’une forme transitoire, qu’un jour ou l’autre les alliés s’absorberont dans l’alliance, et les petits

  1. Bluntschli, la Politique, p. 240 et suiv.