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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/917

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se hâter de le dire, sont choses du Maroc, comme il y a cosas de España. Quelques tribus châtiées, des centaines de têtes coupées, et tout rentre dans l’ordre. Aussi faut-il se défier des télégrammes d’agences suspectes qui, depuis peu de temps, annoncent qu’on assassine tous les jours au Maroc, et que des villes entières, surprises dans leur sommeil, sont égorgées par des brigands. Il serait si avantageux d’être appelé pour y rétablir l’ordre, comme en Égypte, comme en Birmanie ! Présenter le Maroc dans un tel état d’anarchie, qu’une intervention soit nécessaire, voilà ce que les agens anglais voudraient bien persuader à l’Europe.

Comment expliquer une si persistante hostilité des Marocains contre nous, un mépris si vif de notre civilisation, ce manque d’homogénéité entre peuples d’une même croyance religieuse et qui, tout en faisant acte de révolte, finissent toujours par obéir à un seul et même despote ? Les raisons abondent et s’offrent d’elles-mêmes dans un rapide coup d’œil jeté sur le passé.

Vers l’an 800, l’Afrique septentrionale fut le théâtre d’immigrations musulmanes qui se succédèrent jusqu’au XIe siècle. Deux énormes vagues humaines s’étaient formées ; l’une partant de l’Égypte et se déroulant par Tripoli, Tunis, Constantine et Tlemcen jusqu’à Fez, au nord de l’ancienne Mauritanie. L’autre, venant d’Arabie, franchissant le désert, atteignant Tafilete, Suse, et se brisant sur l’une et l’autre rive de la Morbeya, au sud, là où se trouve actuellement la ville de Maroc. Entre ces flots d’émigrans, l’Atlas majestueux s’élevait ; ils le tournent, s’entremêlent un moment, puis chacun prend la place qui convient le mieux à ses goûts et à son origine. Les conquérans venus d’Égypte restent au nord, se forment en tribus agricoles, lesquelles, au besoin, sauront devenir guerrières ; ceux venus d’Arabie, plus doux, nomades, et qui accueilleront plus tard en frères proscrits les Maures chassés d’Espagne, se font pasteurs. Ils sont méprisés, traités de lâches aujourd’hui par leurs coreligionnaires du Maroc ; de leur côté, ceux du sud traitent de barbares et de forbans ces tribus qui les insultent.

Lorsque les lieutenans du Prophète, pour bien montrer qu’il ne leur restait plus un pouce de terre à conquérir dans le nord africain, firent entrer leurs chevaux jusqu’au poitrail dans l’Atlantique, ils se mirent à fonder des royaumes et à créer des villes. Agbar, le plus grand des guerriers convertisseurs, édifia la cité sainte de Kairouan, et ;, pour en embellir la mosquée, il dépouilla de leurs magnifiques colonnes de marbre les monumens païens et les églises chrétiennes. Plus tard, Génois et Vénitiens devaient, eux aussi, piller les marbres de Carthage, et ils le firent si consciencieusement