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nos compatriotes qui s’y trouvaient détenus. On paya d’abord à leurs propriétaires le montant de leur entretien, puis à titre de bénéfice 40 pour 100 en plus ; ce paiement se fit en toiles de Bretagne. Les captifs étaient au nombre de 141 et leur délivrance représenta une valeur de 13,360 ducats. Six ans avant ce rachat, Richelieu avait encore fait partir pour le Maroc une ambassade dont les aventures méritent d’être racontées. Elle se composait de 30 personnes dont 3 religieux de l’ordre des capucins envoyés par l’Éminence grise, le père Joseph, capucin lui-même ; il espérait que ces trois confrères fonderaient à Maroc une église. Le cardinal, malavisé, cette fois, avait confié la direction de la mission à un personnage du nom de Bazilly, commandeur, lequel ignorait absolument de quelle façon un envoyé des cours d’Europe devait se présenter chez un forban couronné. À peine débarqué à Saffi, le commandeur fut interrogé sur l’objet de son voyage, et comme il n’avait avec lui ni cadeaux, ni ducats à offrir en échange du traité et des captifs qu’il demandait, il fut prié de repartir pour la France afin d’aller y chercher ce qui lui manquait. Sa suite fut chargée de chaînes, conduite sous bonne garde à Maroc, et jetée dans une prison où se trouvaient d’autres malheureux qui, depuis plusieurs années, attendaient qu’on vînt les racheter. Les trois capucins partagèrent leur sort ; toutefois, on leur laissa la liberté de prêcher, de chanter la messe, à la condition que tout se passerait dans l’enceinte de la geôle. Les dimanches et les jours fériés, leur embarras était grand, car les captifs travaillaient même ces jours-là. Ces religieux périrent tous les trois de la peste dans la prison où ils avaient été mis.

Le commandeur de Bazilly se garda bien de revenir dans un pays si peu hospitalier, et ce ne fut qu’en 1635 qu’un sieur du Chalard, envoyé du roi de France, reparut à Saffi avec les cadeaux et les rançons réclamés par les rois de Maroc et de Salé ; 380 Français furent rendus par lui à la liberté, et, par la suite, rapatriés ; 333 autres captifs de diverses nationalités étrangères se virent, grâce à notre bienveillante intervention, délivrés de leurs chaînes.

L’ordre de Notre-Dame de la Merci, institué, en 1218, pour le rachat des prisonniers par saint Pierre Nolasque, eut, pendant quelques années, des représentans à Fez et à Méquinez. Quand ils furent contraints d’abandonner ces localités, ce fut de la Péninsule espagnole que des religieux, après avoir quêté dans toute la chrétienté, venaient à Ceuta traiter avec les autorités marocaines du rachat des Européens capturés.

Comprend-on, d’après ce qui précède, les regrets amers des sultans actuels du Maroc lorsque, devant leurs ports, où ni galères,