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ni galiotes, ni chébecs ne se balancent sur les eaux, un tel passé revit dans leur esprit ? Ils ont encore un souvenir autrement fait pour les rendre arrogans et entretenir leur morgue, celui des tributs que la plupart des puissances européennes leur payèrent annuellement jusqu’au jour où une armée française s’empara d’Alger.


III.

Quiconque a vécu en pays musulman n’a pas manqué d’observer la rapidité avec laquelle s’y propagent les nouvelles. Les informations les plus précises ne manquent jamais aux disciples d’Allah, et s’ils n’ont pas l’électricité pour les transmettre jusqu’aux oasis du Sahara, ils n’en ont pas moins des messagers d’une allure rapide et sûre. C’est ainsi que le sultan des Marocains n’ignore rien de ce qui se passe sur son continent si vivement attaqué de tous côtés, et, de quelle façon, sous prétexte de civilisation et d’humanité, Stanley, et, à sa suite, d’autres exploiteurs, y ont pénétré et s’y comportent. Il sait la quantité de millions de francs et tout le sang que nous coûte l’Algérie, et, quoique notre conquête l’ait rempli de crainte, — surtout depuis Isly, — il n’est pas sans reconnaître qu’elle fait grand honneur à notre armée, à notre persévérance, et que son intérêt est de vivre en paix avec de puissans voisins. Il peut dire à quelle condition nous avons un résident en Tunisie, mais ce qu’il sait par-dessus toute chose, c’est qu’il est de par le monde des gens officieux dont il est impossible de se dépêtrer dès qu’on commet l’imprudence de les prendre pour conseillers ou protecteurs. L’Egypte, le pays du calme par excellence, là où la vie politique diffère si peu du sommeil de ses momies, n’est pas éloignée de son empire, et ce qui s’y passe est bien fait pour lui inspirer une crainte salutaire. S’il ne l’avait pas, cette sage terreur, M. le comte d’Aubigny, fraîchement débarqué du Caire à Tanger, n’aurait, pour la lui donner, qu’à raconter sous quelle tutelle indiscrètement prolongée se trouve, depuis dix ans, le pays des Pharaons.

Ce n’est pas, d’ailleurs, sans motifs sérieux que l’empereur du Maroc, — Moghreb-el-Aksa, son titre devant Allah, — conserve à l’égard des Européens une attitude réservée et altière. Il se dit le successeur des rois maures d’Espagne, tout honnis et dépossédés qu’ils aient été, et il en conserve précieusement les parchemins ; il est le chef spirituel de son peuple en même temps que son chef politique, moins obéi toutefois que le tsar, et c’est la première de ces qualités qui constitue sa plus grande force. Il a la prétention