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d’être le calife de l’Occident, le vicaire d’Allah, le pape de l’un des quatre grands rites orthodoxes, le malékite, l’un des plus répandus en Afrique. Pour milice, quand il fait appel à la guerre sainte, il a les adeptes de confréries sans nombre, adeptes, qui, par millions, ne demandent qu’à devenir au prix de leur vie, les hôtes de ces oasis célestes où coulent toujours des eaux fraîches et limpides, où des houris idéalement blanches et belles n’ont d’autre préoccupation que celle de ne rien leur faire regretter des voluptés terrestres. Ce sultan ne peut ignorer non plus que les Carthaginois et les Romains, les Vandales et les Byzantins, les Espagnols et les Portugais, n’ont jamais bâti que sur le sable dans cette partie nord du continent d’Afrique où, tant bien que mal, il gouverne aujourd’hui. Seuls, les Arabes ont conquis le Moghreb en s’aidant du glaive et du Coran, et seuls, ils y ont fait souche, mais en se distinguant toujours, par leur amour de la vie pastorale, des Maures qui aiment mieux les villes, et des Berbères fidèles à leurs belles montagnes.

En 1859, l’empire du Maroc fut pendant un moment attaqué et menacé sérieusement par une armée espagnole, très vaillante, pleine d’entrain et supérieurement commandée. Le maréchal O’Donnell, qui s’était emparé de Tanger, marchait en vainqueur sur Tétuan, lorsque l’ambassadeur de la Grande-Bretagne à Madrid se présenta au ministère des affaires étrangères de cette capitale. Par ordre de son gouvernement, il y laissa la déclaration simple, mais catégorique que voici : 1° aux yeux du cabinet de Saint-James une occupation définitive de Tanger par les Espagnols était absolument incompatible avec la sécurité de Gibraltar ; 2° le gouvernement espagnol était prié d’acquitter, dans le plus bref délai possible, une dette de plusieurs millions de pesetas contractée d’ancienne date avec l’Angleterre, et dont celle-ci, jusque-là, avait négligé le recouvrement.

Un gouvernement fort et habile devrait toujours avoir des arriérés de ce genre avec les nations qui lui sont inférieures en puissance, afin de pouvoir s’en servir au besoin. Le maréchal O’Donnell fut créé duc de Tétuan ; son armée, bénissant Dieu, mais maudissant l’Angleterre, rentra dans ses quartiers d’Espagne, on devine dans quelles dispositions d’esprit.

Ce qui ne peut manquer d’accroître l’orgueil des empereurs du Maroc, leur conviction d’une grande supériorité sur nous, leur force par suite d’une position exceptionnelle sur la Méditerranée et l’Océan, c’est, dans le présent, cette retraite d’une armée espagnole victorieuse ; c’est, dans le passé, le souvenir des redevances que l’Europe consentit à leur payer, pendant près d’un siècle, pour