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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/930

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des Juifs ; ceux-ci y cachent, sous des dehors sordides, des richesses acquises par l’usure, jusqu’à l’heure où un shérif besogneux les fasse dégorger sous le bâton. C’est l’agitation pleine de mystères qui commence dans les villes du Maroc dès que tombe la nuit, quand l’habitant, comme attardé, se glisse dans les rues étroites et sinueuses, un falot tremblant à la main. C’est une population malpropre et grouillante dans les cités ; farouche dans l’Atlas, nomade et douce dans les plaines, mais parmi laquelle se distinguent toujours trois classes de parias : les esclaves noirs, les fils de Sem et les renégats. Avant 1830, il y avait un paria de plus : le captif chrétien. On croit rêver lorsqu’on songe à la date si rapprochée de sa délivrance. Les Arabes, toujours moins nombreux au Maroc que les autres races, sont restés ce qu’ils sont par nature, errans et éleveurs de troupeaux ; les Berbères continuent à vivre de préférence hors de la portée des shérifs, dans cette région du Riff d’où il sera toujours impossible de les déloger ; les Maures, très dégénérés par suite de leurs trop intimes rapports avec les Soudanais, vivent indolens dans l’intérieur des villes et dans l’attente du retour de la piraterie. Salé, Rabat et Mogador sur l’Atlantique, Ceuta, Rabat et Tanger sur la Méditerranée n’ont plus qu’un mouvement de rade des plus restreints. J’oubliais Larache, une ville voisine de ce jardin des Hespérides dont Atlas dérobait les pommes d’or pendant qu’Hercule portait complaisamment le monde sur ses robustes épaules.

Tant que les empereurs du Maroc se tiendront sur une farouche réserve vis-à-vis des puissances d’Europe ; tant que leurs peuples se montreront rebelles à notre civilisation et ne sentiront pas renaître en eux cette flamme qui jadis illustra leurs ancêtres en Andalousie, nous n’avons qu’à nous croiser les bras et à veiller. Ayons toutefois la pudeur de reconnaître que ce sont nos mesquines rivalités qui, en vue de l’Europe, vont entretenir une barbarie, honte de notre époque. À qui la faute ? Aux hommes, qui, mus par des visées purement mercantiles emploient, pour les faire prévaloir, la ruse et la force ; à ceux qui se rient des nationalités dès qu’il s’agit de lucre, et d’étendre sur mer comme sur terre une domination qui, si on la laissait faire, deviendrait bientôt universelle.


EDMOND PLAUCHUT.