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A RAVENNE


Journées de mai passé.

… La mer meurt doucement, sur des terres basses, au bord de la route, d’Ancône à Pesaro, de Pesaro à Rimini. La vie se fait rare ; des petits havres de pêcheurs, où quelques familles nettoient leurs filets sur la grève. Des hommes, plongés à mi-corps dans la vague vont rejeter ces filets au large. Devant eux, les voiles rouges brûlées par les soleils, se hissent le long des mâts, s’envolent dans l’éveil du matin. Les premières levées fuient déjà là-bas, au fond bleu de l’Adriatique, vers la Grèce qui les appelle sous l’horizon. La pensée fuit de conserve allègre aux jeunes lumières de l’aube, oublieuse des lourdes ancres engagées ailleurs ; et je continue de les suivre, les barques disparues, dans les profondeurs de la mémoire où se prolonge cette mer, sur ces eaux grecques où j’ai perdu tant d’anciens jours.

À Cesenatico, la ligne s’écarte de la plage. Les terres riveraines de l’Adriatique ne porteraient pas plus loin une voie ferrée. Au-delà, le limon charrié des vallées lombardes et romagnoles a gagné sur les flots une vaste maremme, jusqu’aux embouchures des grands fleuves, du Pô et de l’Adige. Francesca dépeint dans une belle et forte image ce sol aventuré parmi les eaux ; elle montre à Dante « sa terre natale assise sur la marine, là où le Pô descend avec ses tributaires pour trouver enfin la paix dans la mer[1]. »

  1. <poem>Siede la terra, dove nata fui, Su la marina dove ‘l Po discende Per aver pace co’ seguaci sui. (Inferno, V.)