Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/936

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les plus anciennes compositions nous montrent franchement des modèles antiques revêtus d’attributs chrétiens ; au tombeau de Galla Placidia, le Bon Pasteur gardant ses brebis a la tête classique de l’Apollon Musagète. Aux deux baptistères, où le sujet central représente l’immersion de Jésus dans le Jourdain, le dieu du fleuve assiste à la scène ; il faut bien nommer ainsi ce vieillard mythologique, avec son urne dans une main, son sceptre de roseaux dans l’autre. Peu à peu, le Christ vainqueur se débarrasse de cette gangue païenne. La semaine dernière, je regardais dans les catacombes de Rome les symboles timides sous lesquels le Dieu persécuté se dérobe aux yeux de l’orante : Jonas, Melchisédech, le sacrifice d’Abraham. Une pieuse habitude maintient dans les mosaïques de Ravenne ces figurations ; mais, au-dessus d’elles, le Dieu triomphant prend aux clés de voûte sa place d’honneur et la figure rituelle que l’Orient lui conservera. Cependant, le roi du ciel doit partager l’empire avec le roi de la terre, l’héritier du divin Auguste ; le personnage du Cosmocrator, trônant au milieu de ses cubiculaires, a presque autant d’importance que celui du Sauveur. La pensée de Constantin, l’équitable répartition de l’univers entre les deux divinités, inspire la main respectueuse du mosaïste.

Dans cet art qui n’a pas encore d’individualité bien acquise, tout parle d’élémens en fusion ; idée païenne, idée impériale, idée chrétienne ; beauté classique et goût barbare de l’Asie. Le dessinateur se ressouvient parfois de la Grèce, quand il trace un profil humain ; il recueille des motifs d’ornementation et des couleurs dans tout l’empire de son maître, de Pompéi à la Perse. La décoration qu’il met au fond de ses coupoles, avec ce fouillis d’arabesques d’or entre les paons bleus et les palmiers verts, ressemble déjà à un tapis de Chiraz plus qu’à une draperie classique ; follement somptueuse toujours, et admirable de coloris.

Nous avons deux portraits de Justinien, d’époques différentes ; l’un à San Vitale, l’autre dans une chapelle de Sant’Apollinare Nuovo. Le premier est d’un homme en pleine force, alerte, aux traits durs et accusés ; dans le second, le Basileus aux joues pesantes, au regard éteint, est devenu un vieux légiste, un bureaucrate avachi sur ses dossiers. On pense aux deux types si connus que nous ont laissés les peintres de Bonaparte, le maigre consul, l’empereur alourdi. Vis-à-vis de son époux, Théodora se dirige vers un temple, entourée de ses femmes ; les patriciennes portent leurs costumes de cour, des étoffes précieuses très variées de nuances, de tissu et d’ajustement. Les trois rois mages sont brodés sur un le de la tunique de Théodora. On les voit représentés partout, dans les mosaïques de Ravenne, en tête des processions acheminées