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avec des offrandes vers le trône de la Vierge. Les rois Gaspar et Balthazar, majestueux, bien drapés, munis de nobles barbes et de hauts diadèmes, ont la suffisance tranquille de personnages qui apportent l’or et l’encens, deux présens toujours bien reçus. Le roi Melchior imberbe, chétit sous son petit manteau vert, est de mine plus naïve et un peu déconfite ; comme il sied à un Arabe qui n’a trouvé dans son désert que ce maigre cadeau, la myrrhe, le parfum amer.

Ces tableaux nous rendent les usages et le mobilier de l’époque byzantine, dans les scènes bibliques figurées avec les accessoires de la réalité contemporaine. Nous pouvons étudier à Sant’Apollinare Nuovo un plan détaillé du palais impérial ; et, en lace, une vue du port de Classis ; des bateaux s’y balancent ; ils ne diffèrent ni par la coupe, ni par la mâture, des barques qui attendent à cette heure leur chargement de riz sur le canal Naviglio. Pour le mobilier, les indications des mosaïques se vérifient sur les reliques conservées dans les sacristies : chaires de marbre et d’ivoire sculpté où s’assirent les premiers évêques de Ravenne, croix d’argent émaillé que l’on portait devant eux. — On peut sonner l’office, dans la tour isolée qui servait de clocher ; les saints évêques Apollinaire et Maximien peuvent redescendre dans leurs basiliques et monter aux autels ; l’empereur est prêt ; rien ne manquera à la cérémonie. Le peuple est là pour remplir les nefs ; soit qu’il se précipite de ces frises où on le voit en effigie, soit qu’il ressorte de ces sarcophages rangés le long des murs, disséminés partout, dans les chapelles, au musée, à la Bibliothèque, et jusque sur la voie publique. Il y a autant de sarcophages que de maisons à Ravenne, tous du même type : le grand coffre byzantin, au toit de pierre massive, avec les premiers symboles chrétiens sculptés sur les quatre faces : la vigne, les brebis, les colombes buvant dans le calice. On lit sur le couvercle des inscriptions emphatiques ou touchantes ; celle-ci, par exemple, répétée en grec et en latin sur le tombeau de l’exarque Isaac : « Suzanne, la compagne de sa vie, privée désormais de l’époux, soupire fréquemment à la façon d’une chaste tourterelle. »

Quittons les basiliques ; je me suis promis d’être sobre sur l’archéologie. Ravenne a été mainte fois décrite et commentée dans les publications des savans, mon bref rappel n’apprendra rien aux gens instruits en cette matière. Je voudrais retenir et rendre ce que les savans n’ont pas toujours aperçu, l’âme de la douce morte ; ils l’ont étudiée comme un fossile, sans se laisser gagner au charme de la calme enchanteresse. Ah ! que les poètes l’ont mieux regardée, Dante, Byron, et les autres ; eux qui ne peuvent parler d’elle sans que le mot de douceur revienne à chaque instant dans