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et des roses y monte du jardin qui en ouvre l’accès. Et s’il était permis d’inscrire sur la tombe de Dante d’autres vers que les siens, on pourrait graver au bas d’un pilier le vers que ces mêmes lieux suggéraient à Byron : « Les tombeaux héritent des tombeaux. »

Celui-là aussi vint s’abattre à Ravenne, au bout de son vol,


Pâle, et déjà tourné du côté de la Grèce.


Pendant les derniers temps de son séjour, nous disent les biographes, « Byron n’attendait plus rien de sa destinée… Tout en lui portait l’empreinte de la résignation de caractère, de ce muet découragement de l’homme qui finit par s’abandonner à son sort. » Il ne tenta plus de frivoles aventures ; il ne passa l’Adriatique que pour aller chercher en Morée une occasion et une raison de mourir, avec l’illusion d’être utile à de nobles idées. Il avait respiré cet air qui sollicite l’homme à se détacher du monde. Après une retraite dans ces limbes, où tout par le de la dissolution lente des plus fortes créations humaines, un Dante se persuade qu’il est bon de s’y coucher, pour s’endormir dans un bienheureux rêve ; un Byron ne s’accorde un sursis, il ne rentre une dernière fois dans la vie, que pour aller se sacrifier à quelque grande cause désespérée.

J’ai parcouru la campagne aux portes de Ravenne. Elle complète ce qu’on peut appeler l’atmosphère morale de la ville. Elle a peu de caractère ; on ne reconnaît plus l’Italie, avec ses paysages accidentés et individuels, avec la lumière nette qui les précise ; on ne sait pas où l’on est, sous quelle latitude. Un ciel souvent opaque, une terre grasse, aqueuse, qui produit et dévore, des marais tièdes, semblables à la Hollande et au delta du Nil ; partout des canaux où croupissent les herbes et les fleurs d’eau, des nymphées, comme ils disent, des bouquets d’iris et de nénufars jaunes. En terre ferme, quelques riches métairies bien cultivées. Je visite une grande exploitation ; on y a installé un atelier de dentelles pour les petites filles. Ces enfans brodent leur point de Venise en chantant de concert le refrain traînant d’une chanson romagnole. Savent-elles l’origine de leur travail délicat ? Une Vénitienne avait reçu de son amant, matelot qui partait sur la mer, une algue marine qu’elle devait garder en souvenir de lui. Le navigateur ne revenait pas, la frêle plante séchait et s’émiettait ; pour en conserver au moins quelques vestiges, la Vénitienne imagina de fixer sur une étoffe les fibrilles de l’algue avec le fil de son aiguille. Son cœur avait inventé la dentelle.

La couronne forestière dont Ravenne s’enorgueillissait, la célèbre Pineta, s’étendait naguère encore de la ville à la mer, couvrant de