Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 117.djvu/955

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

forme cette subvention de tous à tous doit se produire ; on ne peut notamment doter dès aujourd’hui d’une pension de retraite ceux qui n’ont pas versé un centime pour y avoir droit. Il est clair qu’il y a un socialisme possible et, à prendre le mot dans son sens le plus étendu, il n’existe pas de société civilisée qui puisse être construite sans une certaine dose de socialisme ; mais on ne saurait non plus reprocher à l’économie politique de n’avoir pas d’entrailles parce qu’elle a remarqué que l’impôt ne créait pas la richesse, et que la loi de l’offre et de la demande était un phénomène aussi naturel que la périodicité des saisons.

Or la part du capital et celle du travail dans les profits sont réglées par la loi de l’offre et de la demande, et il ne paraît pas que l’on puisse sérieusement diminuer la première et augmenter la seconde par voie législative. Dans les siècles précédens, la législation était plus favorable à l’employeur qu’à l’employé ; elle était même notoirement injuste pour ce dernier : il est des ordonnances d’il y a cent cinquante ans qui, tout en défendant à l’ouvrier de quitter son patron sans l’avoir prévenu un mois à l’avance, permettent au patron de renvoyer son ouvrier sans aucun délai de rigueur. De nos jours, non-seulement l’égalité s’est rétablie, mais encore, comme il est dans la nature humaine de tomber volontiers d’un excès dans l’autre, un esprit de méfiance et d’hostilité à l’égard du capital tend à se glisser dans les lois. Il est cependant nécessaire, dans l’intérêt des ouvriers autant et plus que dans celui des patrons, d’empêcher ceux-ci d’être opprimés à leur tour ; c’est pourquoi nous félicitons le ministre de l’intérieur, au lendemain du débat qui a eu lieu à la chambre sur les bureaux de placement, — débat qui avait pour but d’obtenir la suppression de ces bureaux, au moment même où l’on glorifiait, par l’érection d’une statue, Théophraste Renaudot, leur fondateur primitif, — d’avoir fait mettre en demeure les syndicats ouvriers, illégalement constitués, de régulariser leur situation. La commission executive de la Bourse du travail a immédiatement répliqué à ce qu’elle appelle une « provocation, » en invitant les syndicats qui se trouvent dans une situation illégale à y rester et ceux qui se trouvent dans une situation régulière à en sortir, en se mettant volontairement en dehors de la législation de 188/t. Ceux qui auront la faiblesse de respecter la loi doivent prendre garde à eux, ils risquent d’être exclus du bâtiment municipal, comme le syndicat de la gravure qui a fait jusqu’ici d’inutiles efforts pour obtenir sa réintégration. Cette attitude des directeurs de la Bourse du travail n’a pas de quoi surprendre, puisqu’ils publient, avec les fonds des contribuables parisiens, un Bulletin officiel, dans lequel se trouvent des phrases comme celle-ci : « On peut affirmer hardiment que chaque prolétaire est assassiné peu à peu par les bourgeois oisifs, qui lui volent sa vie de toutes les manières, journée par journée,