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forcés qui n’étaient que confiscations et pilleries déguisées ; dans la seule année 1454, les États ne s’assemblent pas moins de quatre fois afin d’aider le souverain et au besoin lui résister « pour la préservation du pays et les affaires du prince. » Car les protestations ne manquent point, non plus que les promesses, promesses mieux tenues à mesure que le duc vieillit ; à la fin de son règne il commença d’épargner ses sujets, et il ne les taillait presque plus, aimant ses peuples, et sachant entendre la vérité. Et de tout ceci se dégage la sensation d’une prospérité inconnue auparavant, les règles du droit public précisées, les libertés de la nation comtoise conquises pied à pied, les velléités despotiques du souverain moins intolérables que la tyrannie féodale, le peuple comprenant avec son profond sentiment de justice qu’il a trouvé des protecteurs, sa reconnaissance envers ceux qui lui montraient le moyen d’échapper de son bagne, mettaient de la lumière, de la joie dans cette nuit redoutable du passé, et, faisant quelques-uns égaux de ses anciens maîtres, ouvraient la porte où il passerait un jour. Quant au duc Charles le Téméraire (1467-1477) qui appelle le duché une dague de plomb, et la Comté le jardin de l’honneur, et prétend tellement aimer la France, qu’au lieu d’un seul roi, il voudrait qu’elle en eût cinq ou six, il « estait né en fer, tout à labeur et à dur » et a son semblant seulement jugeait empereur et valait de porter couronne. » Rude à ses gens et à ses peuples, soldat admirable, médiocre capitaine, plus médiocre diplomate, vivant moralement de sa propre pensée et ne prenant conseil que de lui-même, son règne peut se résumer ainsi : guerres de magnificence, fatales à sa puissance, à ses sujets, tentatives despotiques, tailles imposées à notre province sous forme de gabelles, remontrances énergiques des États, les abbés de Lure de Luxeuil, princes d’empire, traités avec le plus superbe dédain, l’invasion des confédérés alsaciens et suisses qui s’emparent d’Héricourt, Mandeure, Franquemont, Pontarlier, la Franche-Montagne rançonnée, mise à feu et à sang, une armée française aux portes de Vesoul, le mécontentement et la ruine universels, Granson, Morat, Nancy : et, dans l’ombre, suscitant contre lui des coalitions, menaçant, grandissant à mesure que décroît le prestige du Téméraire, Louis XI, ce roi méconnu, le plus grand peut-être de notre histoire, qui eut la passion de l’État et sut aimer la France.

Marquons cependant d’un trait plus précis ces franchises de notre Comté, telles qu’elles se développent à travers les dominations bourguignonne, autrichienne et espagnole, franchises non écrites, vieux usages enracinés dans les mœurs et revêtant aux yeux de nos ancêtres le caractère de dogmes, contestées, violées quelquefois,