Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/148

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cachés les vases sacrés, les reliques de leurs saints, cela n’infirme en rien ces trois faits : la décadence du clergé et des moines à l’époque de la réforme, le besoin d’un changement attesté par cette insurrection des consciences qui tient en échec la puissance elle-même de Charles-Quint, la rapide propagande de la nouvelle doctrine, une autre civilisation sortie de cette crise redoutable.

Introduit de vive force dans les seigneuries d’Héricourt, Blamont, Châtelot et Clémont, le protestantisme cherchait aussi, avec la complicité plus ou moins dissimulée des Suisses et des comtes de Montbéliard, à s’insinuer en Comté, et à beaucoup de Comtois il offrait le prestige de la nouveauté, du mystère et de l’audace. Besançon était le point de mire de l’assaillant, la capitale réelle qui, une fois conquise, entraînerait tout le reste : la nature turbulente de ses habitans, son caractère de république presque libre, malgré son titre de ville impériale, les conflits perpétuels des gouverneurs ou conseillers municipaux avec l’archevêque, de celui-ci avec son chapitre, semblaient la destiner à devenir une autre Genève. L’état déplorable de l’archevêché ajoutait encore aux périls de la cause catholique. Pierre de La Baume ayant obtenu une bulle de coadjutorerie pour son neveu Claude, qui se trouva archevêque à l’âge de douze ans, le chapitre se mit en travers et élut François Bonvalot ; une longue et pénible querelle surgit et se termina par un accommodement ; Bonvalot eut l’administration de l’archevêché. Mais la jeunesse de Claude de La Baume fit craindre plus encore que son enfance ; Claude de Rye, son parent, s’efforçait de le gagner à la réforme, il parut un instant ébranlé, assista plusieurs fois aux prêches de Lyon, menant une vie fort dissipée, offrant de se démettre, contractant même un mariage qui fut cassé par le pape Pie V en 1566. Les choses menaçaient de tourner au pire s’il n’eût fait amende honorable et changé subitement du tout au tout. Ses ennemis ne manquèrent point d’insinuer que cette conversion soudaine cachait un désir de devenir cardinal, et, lorsqu’il mourut en 1584, Morillon, confident de Granvelle, le gratifia de cette oraison funèbre : « Il est mort à Arbois sans confession, et a laissé plus de 100,000 francs de dettes, haiant esté ensepueli en une paoure et trouée nappe de cuisine au lieu d’un linceux, une mitre de papier, huit torches et six petites chandelles. Dieu luy face mercy ! »

Charles-Quint avait durement sévi contre l’hérésie luthérique ; après lui s’ouvre une ère de tolérance relative, de propagande presque ouverte. Théodore de Bèze prêche à Besançon, choisit dix hommes par quartier, chargés de faire des prosélytes ; l’hérésie compte parmi ses partisans plusieurs nobles, ennemis acharnés de