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de mots, pour nous qui n’avons point l’horreur du passé et qui estimons au contraire, avec les grands artistes de tous les temps, qu’il faut d’abord apprendre, chez les maîtres, à bien manier ses outils, si l’on veut dégager à son tour son génie personnel, nous ne sommes ni surpris, ni choqués de rencontrer ici, comme aux Champs-Elysées, mille preuves, surtout chez les meilleurs, d’un retour respectueux vers des admirations nécessaires. Mais, en vérité, ce n’est pas la peine dans ce cas, de faire crier à tue-tête, par toute la troupe de Panurge, qu’ici seulement on est jeune et primesautier, qu’ici, seulement on renouvelle ou va renouveler la face des choses, tandis qu’en réalité on est ici tout aussi vieillot et rabâcheur, imitateur et rapetasseur qu’on peut l’être dans la maison en face, celle qui est de l’autre côté du quai !

À part quelques personnalités supérieures, dont l’éclat rejaillit sur tout l’entourage, on a déjà remarqué que le sentiment de l’indépendance personnelle semble beaucoup moins vif, en général, chez les artistes du Champ de Mars que chez ceux des Champs-Elysées et qu’on y semble disposé plus aisément à revêtir, fort humblement, pour obéir à une mode passagère, une sorte d’uniforme grisâtre, vague et flottant, dont la monotonie est insupportable. Un assez grand nombre de peintres, qui naguère avaient débuté par des affirmations d’une énergie particulière et qu’on pouvait croire convaincue, ont tout à fait perdu pied dans ce flot de boue délayée qui les emporte à la dérive comme des épaves inertes. Le nombre de ces victimes s’accroît de jour en jour. Ceux qui surnagent sont ceux qui, ici comme là-bas, donnent encore une part sérieuse de leur attention à l’exactitude des formes et qui cherchent le caractère de leurs figures dans une observation rigoureuse et directe de la réalité. La plupart ne sont plus des jeunes gens ; ils s’appellent Carolus Duran, Roll, Dagnan, Lhermitte, etc. ; ils n’affichent nullement, d’ailleurs, la prétention d’inventer de toutes pièces des procédés nouveaux, sachant, par expérience, ce qu’il en coûte pour se rendre maître des procédés anciens. Bien que ces artistes ne soient pas tous, tant s’en faut, des dessinateurs de même valeur ni même des dessinateurs impeccables, ils appartiennent encore à une génération qui grandissait dans le respect, sinon dans la pratique, des fortes études, et l’effort qu’ils font aujourd’hui, dans leur maturité, pour fortifier et consolider leur style, ressemble, chez quelques-uns, à un vague remords des heures gaspillées en molles improvisations. L’avenir de leurs cadets, dont l’instruction a été plus superficielle, est beaucoup plus inquiétant. La pauvreté de l’imagination, chez la plupart des jeunes peintres du Champ de Mars, n’a d’égale que la mesquinerie de leurs procédés. Les mieux doués d’entre eux s’en tiennent