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lointain à travers les feuillages noirs d’une haute futaie. C’est un effet plus imprévu et plus nouveau.

Les hardiesses nouvelles de M. Harrison ne doivent pas nous faire oublier les hardiesses anciennes de M. Mesdag, que ce maître hollandais renouvelle chaque année avec une constance heureuse. Sa Giboulée sur les côtes de Hollande et son Arrivée de barques présentent toujours cet aspect de vérité puissante, de mouvement passionné, qui donne à ses marines une poésie si mâle et si particulière. Ce qu’on peut craindre seulement pour lui, comme pour la plupart de ses compatriotes, c’est qu’en vieillissant et en se répétant, son procédé ne s’alourdisse. M. Israëls non plus n’échappe pas à cette fatalité qui semble peser sur les maîtres contemporains des Pays-Bas et de Belgique ; comme ils aiment, par-dessus tout, la touche ferme et grasse, la peinture corsée, épaisse, solide, il leur arrive facilement de tomber dans les empâtemens boueux et les maçonneries brutales, et de perdre ainsi les qualités même qu’ils recherchent, le relief palpable des formes et la distribution exacte de la lumière. La pauvre vieille, qui, dans le Mauvais temps, de M. Israëls, traîne, dans la boue, sous le brouillard, son impitoyable fardeau, nous émeut toujours par la simple noblesse de sa résignation énergique, car M. Israëls est toujours l’un de ceux qui comprennent le mieux l’âme populaire ; mais combien cette peinture est martelée, obscure, confuse, exposée, par le triturage des noirs, à devenir invisible dans peu de temps ! Cette lourdeur de brosse, même si la note est éclatante, gâte, pour une partie du public, certains paysages flamands, d’une impression vive, d’une facture chaude et forte, en somme, fort remarquables, tels que ceux de MM. Courtens, Claus, Verstraete et compromet aussi la valeur de plusieurs tableaux de figures envoyés par l’Allemagne.

II est de fait qu’à Berlin comme à Munich, par réaction contre les transparences fades de la peinture académique, on montre une tendance marquée à surcharger son pinceau de matière. On écrase ainsi le dessin intérieur sous une couche grumeleuse de maçonneries multicolores qui donne aux peintures, non pas la solidité, mate et reposée, de la fresque intimement incorporée à un enduit lisse, mais l’aspect éraillé et papillotant d’un coloriage péniblement étendu sur la surface rugueuse d’un mur grossièrement crépi. L’exemple le plus brutal de ce procédé nous est donné par M. Liebermann dans ses Orphelines d’Amsterdam se promenant au milieu d’un jardin ensoleillé ; M. Liebermann sauve, il est vrai, en partie, ce qu’il y a d’irritant dans ce plâtrage, par son sentiment puissant de la lumière et des justes attitudes ; l’exemple nous semble pourtant dangereux. Il est difficile de garder longtemps, avec ces habitudes, le respect de la forme et celui des nuances dans la