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composition n’est ni nouvelle, ni particulièrement saisissante, mais cette figure, d’une vérité parfaite, est exécutée avec résolution et sentiment. Comme étude importante de figures nues, nous n’avons guère qu’une famille de sylvains ou de bohèmes se promenant, sans voiles, A travers bois, par M. Fourié. C’est une intéressante étude de carnations brillantes en plein air. M. Fourié a de l’entrain, de la force, de la couleur ; on peut croire cependant qu’il exaspère quelque peu les rougeurs des visages allumés par le soleil ou la boisson et qu’il a même quelque chose à acquérir pour donner à ses nudités toute la souplesse désirable. Dans sa trop grande toile, une Fin, qui représente une descente de police, la nuit, chez une fille assassinée, M. Girardot a apporté un grand soin à peindre la victime, toute nue, étendue au pied de son lit. Le morceau n’est pas sans mérite, mais se trouve perdu au milieu des comparses peu intéressans de ce fait-divers tragique et banal qui n’exigeait pas de telles dimensions.

Les tableaux les plus distingués de la section française, ceux dans lesquels se manifeste, en avoisinant de plus près la perfection, un talent vraiment supérieur, sont les œuvres de M. Dagnan-Bouveret. M. Dagnan-Bouveret est un de ceux qui ont, les premiers, compris que la peinture des mœurs contemporaines ne peut vivre et s’élever que par l’observation méthodique et réfléchie des types et des physionomies, par la précision des formes et par la justesse des expressions. Comme tous les artistes qui éprouvent ce genre de préoccupation, il a débuté par des études minutieuses, consciencieuses, quelquefois sèches et un peu froides. C’est lentement, par un progrès continu, qu’il s’est élevé jusqu’aux simplifications fortes et poétiques, dont ses Conscrits sont le dernier et brillant exemple. Encore a-t-il gardé et garde-t-il encore, dans ses œuvres les plus libres, une sorte de timidité délicate et de retenue attentive qui révèle une conscience d’artiste toujours inquiète sur sa propre valeur et toujours en quête de nouvelles perfections. Parmi les perfections que cherche en ce moment l’artiste, se trouve certainement l’unité de l’enveloppe colorée, cette marque des maîtres souverains. M. Dagnan-Bouveret est un esprit trop réfléchi pour ne pas s’être avisé (beaucoup plus que le public) que, dans ses meilleures toiles (même le Pain bénit et le Pardon), ses figures, si excellentes chacune en soi, demeuraient toujours un peu isolées l’une de l’autre, et ne se trouvaient point suffisamment unies dans l’harmonie soutenue du parti-pris lumineux comme celles, par exemple, des grands Hollandais, nos modèles en ce genre, ou des bons maîtres français, Watteau, Chardin, Prud’hon, Delacroix, Millet. Il a donc travaillé pour