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derniers plis au-dessus de sa tête tandis que les autres retombent le long de son dos, laissant apparaître, dans toute la tranquillité robuste de sa nudité, le devant du corps. Des mouvemens de ce genre par lesquels une femme se découvre pour développer sa beauté, nous en connaissons bon nombre ; il n’y a pas d’années où des Phrynés et des Aurores ne nous répètent cette scène. Les unes sont des courtisanes savantes qui font arme de leurs attraits, les autres sont des fillettes candides qui ont droit de les ignorer. Entre l’expérience corrompue et l’ingénuité inculte, il y a pourtant place pour quelque chose de plus haut et de mieux, pour l’intelligence simple et chaste. Comment et de quelle façon M. Barrias a-t-il su exprimer cette intelligence, cette simplicité, cette chasteté ? Les mots n’expliquent pas grand’chose, surtout lorsqu’il s’agit d’une œuvre plastique. C’est par l’attitude générale du corps, par la vigueur et la souplesse des formes déjà mûres, par la lenteur tranquille et décidée des bras qui soulèvent le voile, par l’expression sérieuse et attentive de la physionomie affable qui resplendit sous l’ombre encore portée par le dernier lambeau du mystère qui tombe, par tout un je ne sais quoi de fier et de solennel qu’a infusé dans le marbre l’âme grave du sculpteur. Si le mot de noble, cher à Michel-Ange, peut s’appliquer ici, c’est certainement à ce bel ouvrage.

Quels que soient, d’autre part, l’élan et la splendeur de la Poésie héroïque, un chef-d’œuvre nouveau de M. Falguière, il me semble qu’on aurait quelque peine à lui appliquer le mot de noble, et, à vrai dire, la belle fille n’y tient peut-être pas. Ce n’est pas qu’elle mente en ce moment à son titre, qu’elle ne soit pure et ardente, vibrante et convaincue, qu’elle n’entonne, avec un enthousiasme vrai, son chant de guerre en agitant son luth et en laissant tomber derrière elle son manteau ; ce chant de guerre, nous l’entendons même, c’est la Marseillaise, puisqu’elle porte la cocarde tricolore dans ses cheveux, la cocarde, son seul ornement et son seul voile. Mais ne sent-on pas que cette aimable personne vient seulement de piquer à son front cette cocarde ? Dans l’effort qu’elle fait pour donner à son profil de Parisienne un caractère épique, ne sent-on pas que, quelques minutes auparavant, elle eût été aussi bien la poésie lyrique ou la poésie dramatique, peut-être la poésie légère ? Ses formes sont admirables, surtout les formes de son torse riche et plein, mais c’est une beauté abondante et opulente qui ne correspond guère à cette idée d’une beauté ferme, forte, discrète, chaste, un peu sauvage, qu’implique la poésie héroïque. Pourquoi aussi laisse-t-elle tomber, par derrière, son manteau ? Pour précipiter son mouvement en avant ? Pour donner le sentiment d’un