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élan, d’une course ? Mais alors il ne s’agit plus de la poésie épique. Il est à craindre que ce manteau, un peu lourd, n’ait été abandonné que par un motif rythmique, pour équilibrer la figure, motif légitime sans doute, mais à la condition de contribuer à l’expression intellectuelle de l’ensemble. La virtuosité, en un mot, une virtuosité supérieure et incomparable, domine dans l’œuvre de M. Falguière, tandis que cette virtuosité se soumet à la direction de la pensée dans celle de M. Barrias ; c’est pourquoi, de ces deux excellons ouvrages, le second nous paraît seul mériter l’épithète surannée dont nous avons parlé plus haut.

Les deux excellens marbres de MM. Barrias et Falguière ne sont pas les seuls ouvrages dans lesquels des artistes, cultivés et inventifs, se soient efforcés d’incarner, sous les formes séduisantes du corps féminin, une idée plus haute et plus intellectuelle que la simple idée de la perfection plastique. Un Anglais, M. Pegram, et un Australien, M. Mackennal, ont cherché des expressions plus complexes encore, l’un dans sa Sibylla Fatidica, l’autre dans sa Circé. Tous deux restent fidèles en cela aux traditions et aux habitudes des artistes anglais qui sont volontiers, on le sait, grands liseurs, grands voyageurs, poètes, penseurs et érudits, et qui, grâce à ces qualités, ont créé une école savante de sculpture, parfois aussi raffinée et aussi particulière que leur école de peinture. La Sibylla Fatidica représente une vieille femme, assise sur un banc, à côté d’une jeune fille, à laquelle elle prédit sa destinée. La vieille est engoncée dans un de ces amas de draperies pesantes et compliquées sous lesquels les préraphaélites anglais se plaisent à donner plus de mystère à leurs physionomies expressives. La jeune fille est surprise et résignée. L’ensemble a de la tournure et de l’originalité. La Circé de M. Mackennal, toute nue, coiffée de serpens, dressée sur ses jambes raides, étend les deux bras en avant comme pour lancer au loin ses maléfices sur tous ceux qui l’approchent. À ses pieds se tordent encore des serpens, et sur le piédestal se déroule, en bas-relief, une suite de couples enlacés, s’embrassant et se désespérant sous l’effet de ces maléfices. L’ensemble est conçu par un poète et par un décorateur. La beauté nerveuse, un peu sèche, résistante et dominatrice de la magicienne est une beauté d’allure vive, ferme, élégante, qui n’a rien de vulgaire et qui ne sent pas le modèle. C’est, à notre avis, par le temps qui court, un assez grand mérite.

Nous avons signalé, il y a quelques années, le sentiment poétique, spirituel et français, un peu sentimental, qui animait déjà le modèle d’un groupe exposé par un jeune artiste, le Ruisseau et la prairie. En donnant à cette aimable composition sa forme