Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/224

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pères n’ont jamais nié qu’ils ne fussent d’admirables instituteurs et qu’ils n’aient inventé d’ingénieuses méthodes pour cultiver les esprits et façonner les âmes. Ils inspirèrent à Joseph, avec la passion de l’étude, la haine de l’église gallicane et du jansénisme, une répugnance invincible aux dogmes tristes, qui enseignent que Dieu commande des choses impossibles, et cette gaîté de l’esprit et de la conscience qui fait bon marché des vains scrupules. Cet intrépide logicien ne laissait pas de croire qu’il est des accommodemens avec les principes. Il lui en coûtera peu de représenter à Victor-Emmanuel Ier, dépouillé de ses États par la Révolution et réduit à la possession de la Sardaigne, que si on lui offre de l’indemniser en Grèce, il fera bien d’accepter, que la religion n’est pas une objection, qu’elle ne gêne que ceux qui la gênent, que le roi de Sardaigne devenu roi de Grèce en sera quitte pour se pénétrer de cette vérité assez simple, « savoir que Dieu sait le grec. » Dans le même temps, il demandait qu’on lui procurât un secrétaire de légation qui fût danseur, dessinateur, comédien, surtout bon musicien, « un homme dont il pût se servir auprès des femmes pour savoir le secret des maris. » On voit qu’il n’avait pas perdu son temps chez les bons pères.

— « Enfin, mon cher ami, je n’aime rien tant que les esprits de famille : mon grand-père aimait les jésuites, mon père les aimait, ma sublime mère les aimait, je les aime, mon fils les aime, son fils les aimera, si le roi lui permet d’en avoir un. » — Il fait un cas infini de ce corps enseignant, prêchant, catéchisant, civilisant, instituant. Hélas ! le siècle est ainsi fait que tout cela ne vaut pas pour lui une échoppe de quincaillerie et qu’il donnerait la régénération d’une âme humaine pour une aune de taffetas : « Qu’un souverain aime à jeter quelques gouttes d’eau de rose sur cette boue, elle ne manque pas de crier : « Vous me salissez ! » Il faut la laisser dire et verser double dose. » Mais attendez la fin, et vous reconnaîtrez que jusque dans sa manière d’aimer et de défendre ses anciens maîtres, il se montre leur élève. Il déclare que malgré la très juste affection qu’il leur porte, s’il était ministre, il n’irait point trop vite : « J’aurais toujours devant les yeux deux axiomes. » Le premier est de Cicéron : « N’entreprends jamais dans l’Etat plus que tu ne peux persuader. » L’autre, de moi, indigne : « Quand tu baignes un fou, ne t’embarrasse pas de ses cris. » Il faut prêter l’oreille à ces deux maximes et les balancer l’une par l’autre. »

Toutefois il ne fut jamais qu’un médiocre casuiste, il y avait en lui quelque chose qui résistait, et sa grande naïveté fut de se croire habile. La petite politique l’intéressait peu. Les ministres de son roi qui avait cru faire merveille en l’envoyant à Saint-Pétersbourg le tenaient avec raison pour un informateur sagace, mais pour un négociateur insuffisant et pour un conseiller casse-cou. Il eut toujours du goût pour les vérités dangereuses et se fit traiter quelquefois de jacobin. Fors