n’étaient pour lui que de la littérature. Partageant les femmes en deux espèces bien distinctes, il respectait infiniment celle qui file, se cache et met au monde des enfans dont elle fera des hommes. Quant à la femme qui ne file pas et se montre, il la regardait comme « un bel animal pour lequel il avait une inclination naturelle. » Ce Voltaire retourné n’a jamais connu le romantisme de la grande passion, et jamais il n’a cherché sur la terre une Julie ou une Elvire. Il se maria sur le tard et ne fit pas un mariage d’amour. Si Françoise-Marguerite de Morand fixa son choix, c’est qu’il l’avait longuement étudiée, et s’était convaincu qu’elle appartenait bien à la race « des faiseuses, des couveuses, des poules. » Il était sûr qu’elle aurait soin « de ses petits écus » et qu’elle le dispenserait de s’occuper de beaucoup de choses auxquelles il n’aimait pas à penser, que désormais il trouverait toujours à leur place son habit de ville et ses souliers à boucles d’argent. Il était sûr aussi que cette femme circonspecte, qu’il appelait « sa Prudence, » lui donnerait, dans l’occasion, de bons avis. « Je suis, écrivait-il en 1806, le sénateur Pococurante, et surtout je me gêne peu pour dire ma pensée. Elle, au contraire, n’affirmera jamais avant midi que le soleil est levé, de peur de se compromettre. Elle sait ce qu’il faudra faire ou ne pas faire le 10 octobre 1808, à dix heures du matin, pour éviter un inconvénient qui autrement arriverait dans la nuit du 15 au 16 mars 1810. — Mais, mon cher ami, tu ne fais attention à rien. — Mais, ma chère enfant, laisse-moi tranquille ; je prévois que je ne prévoirai jamais, c’est ton affaire. »
Si l’homme et la femme ne lui plaisaient pas toujours, la politique allobroge lui causait quelquefois des nausées. Il avait le culte de l’autorité, mais elle se montrait à lui sous un visage qui lui répugnait. Si dévoué qu’il fût à ses rois, il leur reprochait d’admirer trop la batonocratie prussienne et de l’avoir introduite dans leurs États. Les commandans de place, nous dit M. Descostes, étaient alors tout-puissans en Savoie, et ils mettaient leur nez partout. Démêlés de famille, intrigues amoureuses, coupes de barbes, formes de chapeaux, tout était de leur ressort, et leurs carabiniers menaient le délinquant au violon. S’avisait-il de protester, ils lui fermaient la bouche en disant : Ma y n’y a pas de questione ! Et en effet il n’y avait pas de questions, puisqu’ils faisaient à la fois les demandes et les réponses. En sa double qualité de magistrat et d’idéaliste, Joseph de Maistre abhorrait le régime policier et la politique de corps de garde : « Donnez-nous à qui vous voudrez, même au Sophi de Perse, mais délivrez-nous des majors de place piémontais ! » On ne l’en délivra pas, cette institution a fleuri longtemps encore. En 1824, raconte M. Descostes, un brigadier de gendarmerie s’avisa que le tambour-maître de la garde urbaine de la Roche avait des moustaches qui lui donnaient l’air d’un carbonaro, « des moustaches longues, nuisibles au gouvernement. » On invita