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non-seulement chez les ministres, mais encore chez les fournisseurs, hâter l’expédition de leurs commandes et jusque dans les bureaux de nourrices choisir des sujets idoines pour leurs nouveau-nés. Il se berce, lui, de marquer de son empreinte l’histoire politique de sa patrie ; mais, ou les circonstances lui sont contraires, ou il avait plus d’ambition que de talent, et il ne trouve rien à léguer à l’admiration de la postérité qu’un projet d’utilité médiocre, qui reste accroché dans une commission quelconque, heureusement embarrassé par les formalités que le règlement espace sur la route parlementaire comme des obstacles judicieux. Ces obstacles ne sont-ils pas trop faciles à franchir ou à tourner, puisque M. Barthou nous a révélé que, depuis quatre ans, la chambre actuelle a été saisie de 2,283 affaires, pour l’examen desquelles elle a nommé 377 commissions. Évidemment, ce chiffre prestigieux de 2,283 affaires comprend les projets d’intérêt local, tout le billon législatif, auquel on réserve à tort la sanction de l’assemblée nationale, où il ne peut être l’objet d’aucun examen sérieux.

Ce grand effort collectif d’une législature ne fait que mieux ressortir la disproportion du résultat obtenu, il en est à Paris du pouvoir législatif comme de l’exécutif : de même qu’il y a trop de signatures à donner dans les ministères, il y a au palais Bourbon trop de sessions, trop de séances et trop d’affaires. Aussi qu’arrive-t-il ? Les affaires traînent et les bancs des députés sont aux trois quarts vides, à moins qu’il n’y ait au programme quelque scandale bête, comme celui de la semaine dernière, où un naïf, trompé par un groupe de pauvres agitateurs qui en veulent à tout le monde de n’avoir pu réussir à rien, apporte solennellement à la tribune de soi-disant papiers d’État, dérobés à l’Angleterre, qui se trouvent être tout simplement les élucubrations d’un escroc.

En ce moment où une proposition de loi, qui sera d’ailleurs repoussée et fera perdre seulement quelques journées de travail, a pour objet de rendre le vote obligatoire pour les électeurs, on se demande si l’on ne devrait pas plutôt rendre obligatoire le vote personnel pour MM. les députés, qui délèguent leur boite à bulletins à un collègue et légifèrent par procuration. Je sais bien qu’un absentéisme analogue sévit dans les assemblées délibérantes de presque toute l’Europe, qu’on signale des faits semblables à Berlin, à Londres et à Rome. À Paris, lorsque les procès-verbaux constataient, il y a trois semaines, que la loi sur les accidens du travail était votée par 506 voix contre 10, il n’y avait exactement que 84 membres dans la salle. Mieux vaudrait diminuer le Folk quorum nécessaire pour la validité des votes, et exiger la présence réelle des votans, que de tolérer ces avalanches de bulletins déposés par un seul représentant, au nom de quinze ou vingt collègues absens dont il a la confiance.