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tristesse par des aspirations chrétiennes déjà assez consistantes. Quelques-unes de ces pièces sont d’une facture tout à fait personnelle ; d’autres rappellent Heine et d’autres même les poètes trécentistes, dont M. Fogazzaro semble s’être à plus d’une reprise inspiré.

« Dans l’ombre du soir grandit — la chambre vide. Hors de chaque fenêtre, — sous la clarté des murs, le lac apparaît — comme un désert, infini comme la mer.

« Je voudrais sortir par cette mer déserte, — naviguer seul, naviguer loin, — et toute rive ayant disparu de ma vue, — m’abandonner à l’onde et à mes pensées.

« Alors sortiraient les fantômes, — que le cœur cache le plus jalousement ; — je m’assoirais à la poupe, eux à la proue ; — et, sans parler, nous nous regarderions. »

Les deux dernières strophes pourraient être signées, ou peu s’en faut, de Guido Cavalcanti ; et même elles rappellent directement le fameux sonnet que Dante adressait à son plus cher ami :


Guido vorreri quo tu, Lapo ed io…


Les deux derniers morceaux de Valsolda paraissent indiquer chez l’auteur ce conflit de sentimens, cette hésitation pénible que connaissent souvent les jeunes hommes qui ne sont pas entrés d’emblée dans une carrière déterminée, et qui, l’âge avançant, se trouvent pris entre leurs chères rêveries et les ordres de la réalité. L’une, écrite en face de la pointe hardie qui domine Oria, exprime avec puissance ce vœu de mort, ce désir de repos qui hante volontiers les imaginations oisives :

« Je voudrais dormir au sommet du mont, — où meurt le soir la dernière lumière, — sans pied insolent qui foule mon visage, — sans plainte inutile qui oppresse mon cœur… »

L’autre est, au contraire, une sorte d’appel à l’action : « Va parmi les hommes poètes ! .. »

Cette seconde voie devait l’emporter. M. Fogazzaro ne se décida pas à courir les hasards de la vie littéraire : non pas par crainte des difficultés matérielles qu’elle comporte en Italie plus peut-être que partout ailleurs, car il avait l’avantage de jouir d’une fortune indépendante, mais plutôt, je pense, par une conception plus haute de ses devoirs d’écrivain. Dans une existence bien réglée, la littérature d’imagination, si dangereuse à ceux qui la cultivent, doit toujours demeurer une espèce de luxe, aux débordemens duquel d’autres préoccupations, d’ordre plus pratique, puissent opposer un frein. Le poète de Miranda voulut qu’il en fût ainsi pour lui :