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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/357

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son imagination l’entraîne hors des limites du vraisemblable, qui n’est pas la vérité absolue si l’on veut, mais qui est la vérité relative sans laquelle il n’y a plus d’art d’écrire et que lui interdit a singularité même de son thème principal.

Peut-être cette singularité fut-elle la cause de l’insuccès relatif de Malombra, qui, au moment de sa publication, fut à peine remarqué. M. Fogazzaro vit l’écueil, et l’évita dans son deuxième roman, Daniele Cortis : un livre puissant et solide, d’un vit intérêt romanesque, d’une grande élévation morale.

Cette fois encore, M. Fogazzaro s’est plu à nouer les fils d’une intrigue assez compliquée, qui met en mouvement, avec beaucoup d’habileté, de nombreux personnages. Mais le drame à trois qui se joue à travers ces complications et parmi ces comparses est des plus simples : c’est celui d’un amour illégitime entre deux êtres à l’âme haute, qui luttent contre leur passion et finissent par en triompher. Un drame éternel, toujours le même et toujours différent, plus fréquent dans la vie que dans la littérature où l’adultère est trop souvent traité comme un lait naturel ; un drame de douleur et de vertu, qu’il faut quelque courage pour écrire, tant les combats du devoir ont été proscrits du roman ramené à la description des triomphes de l’instinct. Placer dans une conscience l’idée qu’il faut résister à la poussée du cœur et des sens ; montrer, à travers des péripéties qui augmentent l’intensité de la tentation, cette idée persistante et victorieuse ; finir par un sacrifice d’où les héros sortent ennoblis et pantelans, — c’est là, on le reconnaîtra, une véritable hardiesse. D’autant plus que M. Fogazzaro, loin de chercher, dans la vie pratique de ses héros, des intérêts ou des devoirs particuliers qui pussent les obliger au sacrifice, a réuni, au contraire, autour d’eux, les circonstances qui auraient pu leur servir d’excuses à leurs propres yeux ou à ceux du lecteur. La baronne Hélène de Santa Giulia appartient à une famille d’esprits légers, et c’est bien elle-même qui s’est, pour ainsi dire, fait son âme ; elle a pour mari un homme grossier, brutal et pis que cela, chevalier d’industrie à ses heures, menacé sans cesse de s’effondrer dans quelque scandale d’argent ; non-seulement il n’y a pas d’amour entre eux, mais il n’y a pas d’estime : car, si elle le méprise pour les grandes et petites infamies qu’il commet tous les jours, il la croit infidèle, et il en prendrait, à ce qu’il semble, assez allègrement son parti. Ajoutez qu’il n’y a pas entre eux le lien des enfans. Qu’est-ce donc qui la retient de s’abandonner à l’amour passionné qu’elle éprouve pour son cousin, le député Daniele Cortis ? Qu’est-ce donc qui la poussera à suivre son mari, que la ruine oblige enfin à partir pour l’Amérique, quand même elle pourrait