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droits et les intérêts de l’État à une autorité peut-être plus grande et plus légitime, mais fondée sur une autre base, par d’autres moyens, pour d’autres fins. Je puis désirer, par une certaine conception d’équilibre politique et par désir patriotique de pacification intérieure, que ce parti accepte honnêtement l’actuel ordre des choses et entre utile et respectable à la chambre ; mais si j’ai l’honneur d’y siéger à ce moment-là, je ne combattrai pas dans ses rangs, du moins jusqu’à ce que, s’étant transformé de parti essentiellement religieux en parti essentiellement civil, il ait profondément modifié ses vues sur les droits et les fonctions de l’État. » — Cette partie politique du roman, qui en diminuerait peut-être l’intérêt auprès des lecteurs français, contribua au contraire à en assurer le succès auprès du public italien. En Italie, en effet, bien plus encore qu’en aucun autre pays, la question civile et religieuse est la question vitale par excellence : depuis Dante, elle a toujours passionné tous les écrivains qui ont fait vibrer l’âme de la nation, elle s’est toujours mêlée, directement ou indirectement, à toutes leurs conceptions romanesques ou poétiques. Ces dernières années, les œuvres les plus populaires étaient d’habitude animées d’un esprit ardemment anticlérical : c’est à cet esprit, par exemple, que M. Carducci a dû une bonne partie de ses succès. L’attitude très franche prise par M. Fogazzaro dans Daniele Cortis est donc fort significative : elle correspond à un mouvement d’opinion dont on voudrait en vain méconnaître la portée ; elle rattache la réaction idéaliste, que représente notre auteur, à l’évolution actuelle du catholicisme ; elle établit une sorte de lien entre les livres de purs littérateurs, qui remuent des idées et ramènent au premier plan les préoccupations de la conscience, et les plus récentes encycliques de Léon XIII. Le grand succès qu’obtint Daniele Cortis est encore venu souligner cette signification, en montrant à quel point les dispositions du public qui lit répondent aux aspirations des écrivains soucieux de l’action de leur plume.

Le Mystère du poète, qui suivit Daniele Cortis à un assez long intervalle, n’est plus un roman d’idées, mais de pur sentiment. Il est écrit en forme de confession, de récit posthume ; de place en place, la narration est interrompue par des pièces de vers qui l’illustrent. Le héros anonyme nous est présenté comme un écrivain « qui combattit non sans succès dans les lettres italiennes et qui est mort presque subitement il y a quelques années. » Cet écrivain, idéaliste comme l’auteur, romanesque comme lui, raconte la simple histoire d’un amour qui absorba toute sa vie. Il était à demi engagé dans une de ces liaisons mondaines, où il y a plus d’amour-propre et d’habitude que de sentiment, lorsque, dans une