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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/361

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second plan qui, comme celle de Topler senior, le frère du fiancé de Violette, sont dessinées avec caractère et introduisent un peu de variété dans l’action. Mais l’attention ne s’arrête qu’à demi sur les paysages, sur les incidens, sur les personnages secondaires : dès les premières lignes de l’ouvrage, on y sent un souffle de vraie tendresse, qui subsiste jusqu’à la dernière page, et qui en fait le charme profond : charme que rompent cependant, de-ci, de-là, des gestes un peu brusques, des expressions un peu outrées, une exaltation un peu démonstrative. C’est que, il faut bien le dire, la sensibilité italienne s’exprime autrement que la nôtre, et nous avons quelque peine à la comprendre : elle reste toujours, à ce qu’il nous semble, un peu extérieure dans ses manifestations ; elle ne recule pas devant certaines exagérations de mots ou d’attitudes qui nous froissent ; elle s’abandonne avec une liberté que nous serions volontiers disposés à taxer de sans-gêne ou d’indiscrétion ; elle déborde avec une abondance qui parfois frise à nos yeux le ridicule. Ce dernier trait est surtout décisif, car nous avons à un degré unique l’effroi du ridicule, et sitôt que nous l’apercevons ou croyons l’apercevoir, nous fermons notre cœur. Eh bien, j’en suis sûr, cette impression de repliement que produit l’approche du ridicule, on l’a éprouvée tout à l’heure, lorsque j’ai dit que le héros de M. Fogazzaro reconnaissait la voix de Violette pour l’avoir entendue deux fois dans des rêves. On la retrouverait de temps en temps encore au cours du livre, à des degrés plus ou moins forts. Parfois, c’est tout un fragment de scène, comme celle où les deux fiancés s’attendrissent jusqu’aux larmes en pensant à leurs parens morts, et se répètent l’un à l’autre : « Mon pauvre père ! .. Ma pauvre mère ! .. » sans qu’on puisse s’empêcher de songer à l’emphase d’acteurs de mélodrames. Tantôt c’est un mot seul, un mot que nous jugeons excessif et dissonant. Lisez, je vous prie, cette page qui termine l’introduction :

«… C’est le jour des morts, le brouillard fume autour des fenêtres de la villa solitaire où je suis l’hôte de mes neveux, je m’enferme dans les souvenirs du passé. Quelqu’un répète au-dessous de moi, au piano, je ne sais quelle monotone musique d’exercices ; j’entends dans la chambre voisine les pas tranquilles des serviteurs. Personne ne songe à ce que je fais, à ce que je sens. Ma main tremble, mon cœur n’est qu’une palpitation, des larmes me montent à la gorge. Et mon récit me paraîtra peut-être si froid à moi-même ! Je voudrais parler, mais non avec la parole qui meurt, parler de l’autre monde inconnu avec la parole vive qui va, qui va d’atome en atome, ne repose jamais, est peut-être entendue dans les mondes inaccessibles à l’œil humain, s’il y a là des esprits capables de sentir toutes les vibrations. Je voudrais pouvoir parler non pas à la foule,