mais seulement aux cœurs généreux qu’une calomnie a pu consister et aux cœurs pervers qui en auraient joui. Dois-je sur ce déposer la plume et me confier en Dieu ? Je pense à elle, à mon étoile, et j’entends sa douce voix étrangère, la voix la plus douce, je crois, qui ait résonné sur des lèvres humaines, me dire tendrement : cher, écris ; write, love. »
C’est charmant ; mais n’y a-t-il pas là plusieurs traits, — j’ai souligné les deux plus frappans, — devant lesquels un écrivain français aurait reculé ? Qu’on ne croie pas que je les relève pour les reprocher à M. Fogazzaro : il est Italien, et il serait absurde de lui demander d’écrire autrement qu’en italien. Mais j’ai voulu marquer, à propos d’un livre que tant de qualités imposent, une des raisons pour lesquelles on aura toujours beaucoup de peine à goûter en France les œuvres étrangères, même choisies parmi les plus dignes d’intérêt. Les Français sont, je crois, le seul peuple de l’Europe qui possèdent le sens aigu du ridicule et soient ainsi préservés de toute exagération de sentiment, de toute enflure d’expression. Il ne faudrait pas qu’un défaut qui n’est un défaut qu’en France nuisît à des écrivains dont la pensée mérite d’être connue, dont l’effort doit être apprécié. Je m’empresse d’ajouter que ce défaut ne se sent pas fréquemment dans le Mystère du poète, et qu’il est bien racheté par la sincérité de l’émotion et par la puissance communicative que l’auteur a su lui donner.
Nous avons examiné sommairement les principaux ouvrages de M. Fogazzaro, auxquels il faudrait ajouter encore quelques écrits de moindre importance : nous pouvons maintenant en marquer la place et en dégager les tendances principales.
Si d’abord on les examine à un point de vue purement littéraire, on trouvera qu’ils rompent franchement avec les traditions à la mode pendant ces dernières années. En Italie comme en France, en effet, une des conséquences du triomphe momentané du naturalisme a été de pousser les écrivains à la recherche de ce que je voudrais appeler le style plastique. Le monde extérieur étant devenu la matière principale de l’observation littéraire, il a bien fallu s’appliquer avant tout à en rendre les aspects et approprier la langue à cette destination : de là, la recherche des mots qui peignent, l’abondance des expressions techniques, la prédominance accordée aux adjectifs, la phrase solide, souvent harmonieuse, mais bornée, privée à la fois des aperçus de la suggestion et des élans de l’éloquence ; de là, en un mot, le matérialisme de la forme moulant, parfois avec