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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/363

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beaucoup d’art, le matérialisme de la pensée. Mais peu à peu, le monde extérieur, tel qu’il se révèle à l’observation, a passé au second plan de la littérature, qui, comme nous l’avons déjà noté, s’ouvre de plus en plus à des soucis d’un autre ordre. À mesure qu’elle s’éloigne ainsi de l’idéal naturaliste, elle tend tout naturellement à s’éloigner aussi de ses traditions de style, avant tout pittoresques et descriptives. La langue s’idéalise avec la pensée : il lui faut maintenant des formes moins arrêtées, des phrases plus souples, dussent-elles pour cela sembler moins belles, moins d’adjectifs et plus de verbes, bref, un appareil plutôt expressif que plastique. Cette tendance est très frappante dans le livre de M. Fogazzaro. En vers comme en prose, il s’est émancipé des habitudes courantes : il est aussi loin de M. Carducci que de M. de Amicis. Ses descriptions, toujours brèves, visent plus à l’exactitude qu’à la splendeur : elles se contentent d’esquisser les fonds sur lesquels se détachent des figures très vivantes, qui accaparent l’attention ; et son soin principal paraît être de donner à ses figures toute l’intensité de vie dont elles sont susceptibles et de montrer, à travers les mouvemens qui les emportent, les mobiles intérieurs qui les dirigent.

C’est donc la vie intérieure que M. Fogazzaro observe avec prédilection et cherche à traduire. Mais on peut l’observer de l’œil désintéressé du psychologue dont le dilettantisme sagace se complaît en découvertes ingénieuses et sans conséquences. Étudier les jeux intimes de l’âme, en effet, c’est là une occupation pleine d’agrémens, propre à séduire ceux-là mêmes pour lesquels l’âme est un terme d’un sens incertain. Or, par la nature même de ses croyances, M. Fogazzaro se trouve en tout autre position. Je ne sais si son catholicisme est tout à fait orthodoxe : il a écrit une curieuse brochure dans laquelle il prend beaucoup de peine pour chercher un point de rencontre entre les théories évolutionnistes et la loi romaine[1] ; et je ne crois pas que les déclarations de Daniele Cortis, qu’il serait évidemment prêt à contresigner, suffiraient à des consciences résolument cléricales. Mais, enfin, il est en tout cas spiritualiste convaincu : l’âme est pour lui la partie divine de notre être, le souffle qui nous survivra ; elle est personnelle, réservée à l’immortalité, responsable des actes qu’elle a dirigés ou laissé commettre. Il ne peut donc se contenter de l’observer en simple curieux, que divertissent ses hésitations, ses bonds et ses caprices : il l’observe à la fois avec le parti-pris de la guider dans ses ascensions pour lui certaines, et cependant

  1. Per un recente raffronto delle theorie di S. Agostino et di Darwin circa le creazione. Milan, 1891.