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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/372

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II

En règle générale, le condamné jugé digne d’obtenir une concession n’est point transformé tout à coup de prisonnier en propriétaire (concession rurale) ou en artisan (concession urbaine) : rien de plus dangereux, quand un homme a jeûné pendant longtemps, que de le laisser manger trop vite et trop copieusement. C’est pourquoi on a reconnu la nécessité de lui faire subir une dernière épreuve, de l’assujettir à une sorte de surnumérariat.

Deux systèmes ont été imaginés à cet effet et mis concurremment en pratique : l’un, excellent, et qui a donné les meilleurs résultats, c’est l’institution des « élèves concessionnaires ; » l’autre fort mauvais à tous les points de vue, c’est « l’assignation » chez les colons.

On a abandonné le premier pour suivre le second avec la plus funeste exagération ; de telle sorte que plusieurs centaines de condamnés sont actuellement détournés des travaux publics pour être mis à la disposition des habitans.

Ce beau chef-d’œuvre est dû à l’intervention signalée plus haut de la politique dans des questions où elle n’entend rien.

La Nouvelle-Calédonie a le bonheur, dont elle jouit en néophyte, de posséder des institutions parlementaires, dernier bienfait laissé par l’administration militaire au moment où elle cédait le pouvoir à l’administration civile ; d’aucuns appellent ce cadeau une flèche du Parthe.

Les conséquences en ont été celles-ci : des circonscriptions où l’autorité est représentée par un maire, un adjoint, un garde champêtre et la population par trois citoyens composant trois partis politiques et faisant de l’opposition ; un conseil-général muni de pouvoirs très étendus (chacun des sièges de cette assemblée est rembourré par une vingtaine ou une trentaine de bulletins de votes).

Ces divers personnages émanés du suffrage universel, quoique restreint dans ses manifestations, manqueraient à l’essence même de leur mission s’ils ne réclamaient pour eux et pour leurs électeurs les privilèges les moins justifiés ; de son côté, l’administration violerait la plus sainte tradition si elle les leur marchandait un instant. On n’a pas eu de peine à lui persuader que le seul fait d’être venu tenter la fortune à cinq mille lieues de la métropole crée des droits à la bienveillance de l’État, — que dis-je ? à son assistance monnayée.