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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/386

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armée : elle était montée sur le toit et, de là, envoyait des baisers aux gendarmes !

Pandore est farouche en ses pudeurs.

À mesure que les prisonnières, la cloche sonnée, défilent devant nous pour se rendre, qui à l’ouvroir, qui à la cuisine, nous interrogeons sur leur compte la vénérable supérieure. Ses réponses sont parfois très amusantes :

— La grande là-bas, qui prend un air sainte Nitouche, elle faisait la cocotte à Paris.

Cette autre a été condamnée pour avoir tué son amant à coups de bouteille.

— Quant à celle-ci, mon cher monsieur, quelle gaillarde ! Je croyais bien, voyez-vous, tout connaître en fait de vice, eh bien, elle m’a appris des choses que j’ignorais.

Ce quartier disciplinaire est intéressant, mais, en somme, il n’offre rien d’absolument inédit.

Le vrai clou (sans jeu de mots) du couvent de Bourail, c’est la partie de l’établissement réservée aux femmes en instance de mariage.

Voici comment les choses se passent.

Quand un concessionnaire, las de vivre seul, songe à se donner une compagne, il adresse une demande à ses chefs. S’il est bien noté et que l’administration ait des femmes disponibles, on l’autorise à « faire parloir. » Muni de sa permission, il se rend, accompagné d’un surveillant, au couvent où on le met en présence du gracieux essaim, plus ou moins nombreux suivant les circonstances. Il regarde, compare, réfléchit et lorsqu’il a fait son choix, désigne à la sœur gardienne l’objet de ses préférences.

— Revenez tel jour, à telle heure, lui dit-on.

La seconde entrevue, qui sera décisive, a lieu dans le kiosque dont j’ai parlé plus haut. Le kiosque a deux issues, l’une sur la place qui précède le couvent, la seconde en face de la porte de la prison.

Le prétendu entre par l’une, tandis que la rougissante promise est introduite par l’autre : du côté cour, un surveillant militaire se promène de long en large ; du côté jardin, une religieuse observe en égrenant son chapelet. Il importe que le dialogue ne prenne pas tout de suite un tour trop vif et que les interlocuteurs gardent, pour le jour de leurs noces, quelque chose à se dire.

La sœur tousse quand le diapason s’élève, et le surveillant se tient prêt à faire irruption si besoin est, au nom de la morale.

Il paraît que le duo commence toujours par quelques questions préjudicielles de Juliette à Roméo :