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rayures, la tête couverte d’un large chapeau de paille, avaient des mines de prospérité qui m’ont donné confiance dans la cuisine de l’établissement et dans le climat des montagnes calédoniennes. J’ai cherché vainement sur leurs visages le sceau de la fatalité et n’ai trouvé que physionomies rieuses et joues rebondies ; j’aime mieux cela, bien que mes convictions en fait d’atavisme soient de plus en plus ébranlées.

Les maîtres m’ont assuré qu’ils seraient, en France, classés dans une bonne moyenne, et je le crois sans peine ; car, ayant fait au hasard des questions sur l’histoire, la géographie, l’arithmétique, j’obtins des réponses fort satisfaisantes.

Deux heures de classe le matin, une heure d’étude dans l’après-midi, suffisent pour atteindre un degré d’instruction convenable. Et dire que la Nouvelle-Calédonie, qui possède déjà tant de choses, n’a pas encore d’inspecteurs d’académie ni de délégués cantonaux ! Le reste de la journée est employé à des travaux agricoles.

Le programme est, à mon avis, très critiquable. Que ferez-vous, messieurs, de tous ces agriculteurs ? Je veux bien que quelques-uns continuent à exploiter le lot paternel, et cela est même tout à fait indispensable ; mais ce lot n’a pas plus de cinq hectares et ne suffira pas à occuper trois ou quatre robustes ouvriers. Prenez garde que vos jeunes gens, faute d’avoir été pourvus d’un métier, n’aillent grossir le nombre des marchands de vin qui pullulent et, malheureusement, gagnent tous de l’argent.

Une école professionnelle eût rendu, à mon humble avis, bien plus de services que cette « ferme-école » qui ne justifie pas même son titre, puisqu’on n’y professe pas d’enseignement spécial. Il n’y a peut-être pas, sur toute l’étendue de la colonie, trois cordonniers, maréchaux-ferrans, maçons, etc., qui ne sortent du bagne.

Que la transportation disparaisse, et voilà les colons libres fort empêchés de se procurer les choses les plus nécessaires. Il y avait donc, de ce chef, un pont tout indiqué à jeter entre les deux élémens de peuplement ; et les élèves de Néméara sont fort bien placés pour le construire.

Faire des ouvriers serait excellent : préparer des ménagères ne serait pas de moindre importance. Si on y a songé, on n’a rien tenté jusqu’à présent. Quelques fillettes vont à l’école primaire de Bourail et pendant si peu de temps qu’elles n’y apprennent presque rien ; les autres croupissent dans l’ignorance absolue et vivent en vraies petites sauvages au fond de la concession paternelle. Si régénérés que nous supposions les parens, ils ne peuvent leur apprendre que le langage qu’ils parlent eux-mêmes.