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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/404

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Potemkin lui a tout accordé : et la promesse du retrait immédiat du régiment russe cantonné en Pologne, et celle du meilleur accueil pour le roi, jusqu’au sacrifice personnel de la visite à Bielacerskief qu’il ne fera point pour éviter les interprétations fâcheuses. Bien plus ; telle est l’intimité qui s’est tout de suite établie entre eux et pour longtemps, que les voilà partant tous deux sur le même traîneau pour aller visiter ensemble les lieux qu’ils doivent revoir quelques semaines plus tard, car le prince de Nassau sera, lui aussi, du grand voyage. C’est Potemkin qui le veut ainsi ; et quand, toujours inséparables, ils rejoignent l’impératrice déjà parvenue à Kief, c’est lui qui, présentant à Catherine son nouvel ami, la dispose si bien en sa faveur qu’elle fait plus que de l’inviter à l’honneur de l’accompagner ; elle lui laisse à peu près entendre que, si la guerre survenait, un commandement important lui serait donné.

Le long arrêt à Kief, — arrêt qui se prolongea près de deux mois et demi, — fut la partie la moins intéressante de cette fameuse excursion digne des Mille et une Nuits. Comme, à partir de Kief, on devait naviguer sur le Dnieper, force était de se résigner à attendre la fonte des glaces. Seule, l’opposition polonaise se réjouit, tout d’abord, d’un retard lui donnant le temps de préparer à sa façon l’entrevue qu’elle n’avait pas pu empêcher entre l’impératrice et Stanislas, puisqu’il était maintenant décidé qu’à la reprise du voyage les deux souverains devaient se rencontrer à Kanief. Le brusque changement des dispositions du prince Potemkin ne permit pas, il est vrai, à ceux qui jusque-là s’étaient crus le mieux fondés à compter sur sa protection, de s’illusionner bien longtemps sur la portée de leurs intrigues, ni sur la nouvelle influence qui les annihilait. Mais Potemkin n’admettait de personne, — ses plus proches le savaient bien, — la moindre manifestation de résistance à ses volontés, et ce ne fut pas une des jouissances les moins piquantes du prince de Nassau, pendant ce long arrêt, que de voir les prévenances, à son égard, de ceux qu’il contrecarrait et irritait au plus haut point, forcées de redoubler avec leur dépit. Pour lui, charmé de son début, présage de succès meilleurs encore, si bien traité par l’impératrice qu’il s’est vu admis, presque immédiatement après sa présentation, au rare honneur de dîner chaque jour avec elle, « à cette petite table ronde, écrit-il à sa femme, où il n’y a jamais plus de dix à douze personnes qu’elle met à son aise, » la patience à Kief fut donc probablement assez facile, d’autant plus qu’il retrouvait ses deux intimes amis, Ségur et le prince de Ligne. Mais pour la souveraine, pour sa cour, comme pour les ambassadeurs invités à l’accompagner,