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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/403

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tout simplement du passage à sa portée du prince Potemkin pour aller le remercier. Il était bien aise, d’ailleurs, d’un prétexte qui, en lui permettant d’entrer en relations directes avec le tout-puissant ministre, lui donnerait peut-être quelques chances d’être employé, un jour, si la seule guerre alors probable en Europe, celle des Russes et des Turcs, venait à éclater. Mais une telle faveur impliquait au préalable la conquête à un haut degré d’une confiance et d’une sympathie connues pour se prodiguer peu, surtout vis-à-vis d’étrangers ; or, dans son dévoûment pour Stanislas, le prince de Nassau n’avait pas su, quand il avait parlé au roi de la visite qu’il projetait, se refuser à une mission particulièrement délicate et la moins faite, selon toute probabilité, pour lui valoir un bon accueil.

L’année précédente, son heureuse intervention auprès de Joseph II, en éclairant Stanislas sur les sentimens réels de ce prince, avait suffi pour déjouer les intrigues des factions polonaises qui se prévalaient de l’appui de l’Autriche. Ces mêmes factions, maintenant, se prétendaient assurées de celui de la Russie, depuis surtout qu’elles étaient parvenues à intéresser à leur querelle le comte Branicki, neveu par sa femme et l’un des favoris du prince Potemkin. L’attitude de la Russie justifiait, à la vérité, leur confiance. Elle mettait dans la position la plus fausse le malheureux roi qui, rivé par ses antécédens à la politique de sa redoutable voisine, tenu en tutelle par son ambassadeur, menacé par ses armées dont un régiment occupait encore une de ses provinces, au grand scandale des patriotes, souffrait de tous les inconvéniens de cet écrasant patronage sans obtenir, comme compensation, tout au moins des égards.

Au cours de son voyage, Catherine devait longer la frontière de Pologne. Stanislas s’était empressé d’annoncer son intention d’aller la saluer à son passage. Sa lettre était restée sans réponse. Fallait-il renoncer à un projet déjà public ou s’exposer à courir au-devant d’un affront ? Question capitale pour le roi, mais non moins palpitante pour les principaux chefs de l’opposition, réunis, à ce moment, chez le comte Branicki à Bielacerskief, où Potemkin, — ils avaient soin de le dire bien haut, — leur avait promis de s’arrêter au retour de son inspection.

Comment le prince de Nassau, en quelques jours, sut-il gagner à la fois et sa propre cause et celle de Stanislas au point de pouvoir complètement rassurer celui-ci, et de s’être fait pour lui-même du fantasque et ombrageux ministre de Catherine plus qu’un protecteur, un véritable ami ? Nous n’avons pas à le demander, ici, à sa correspondance. Qu’il nous suffise de dire que