Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/412

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par les Cosaques. Comme nous la voyons venir de six verstes, cette plaine, couverte de cette fourmilière d’hommes qui couraient à toute course en conservant dans leur désordre leur manière d’attaquer et de se soutenir, formait ce que j’ai vu qui ressemble le plus à une bataille. L’impératrice arrivée, l’empereur ne cessait pas de dire le plaisir que les Cosaques lui avaient fait. L’impératrice, qui ne s’attendait pas à les voir, dit au prince : — Voilà un de vos tours. Il voulut leur donner une représentation de ce que nous avions vu. Les Cosaques, qui avaient déjà fait trente verstes à toute course, reprirent encore la petite guerre devant l’impératrice et l’empereur qui vinrent sur le rempart pour les voir. Il ne fut question, toute la soirée, que des Cosaques. L’empereur fit beaucoup de questions à l’ataman, qui lui dit, entre autres choses, qu’ils faisaient ordinairement soixante verstes par jour, en voyageant, ce qui fait quinze lieues de France. Il n’y a pas d’autre cavalerie, en Europe, qui puisse le faire.

« À neuf heures, l’impératrice et l’empereur se retirèrent et nous allâmes souper. L’empereur était enchanté et disait du prince Potemkin tout ce qu’il mérite qu’on en dise ; mais j’aurais trop à écrire si je vous le rendais ; il est trop tard et vous savez ce que j’en pense. Le prince Potemkin est venu un moment dans la tente où Ligne et moi logions, et, de là, nous avons été causer une heure dans la sienne. »


« Ce matin, je me suis levé à six heures ; et, à sept, nous nous sommes rendus dans le salon de l’impératrice où les officiers de cosaques étaient déjà. La femme de l’ataman arriva un moment après avec sa belle-sœur et sa fille qui est fort jolie. Elles étaient habillées de brocart d’or et d’argent. L’habit est très long et comme une soutane de nos prêtres qui se croiserait, au lieu de se boutonner. Le bonnet est de martre zibeline, le fond couvert de perles. Trois doigts de perles sur le front et une bande large de quatre doigts qui pend sur les joues jusqu’à la hauteur de la bouche, forment une coiffure des plus extraordinaires que j’ai vues. Elles avaient encore un grand collier de perles qui pendait jusqu’à la ceinture et attaché par-dessus l’habit qui couvre le col, et encore des bracelets. Elles furent présentées par Mme Branicka. Les officiers et deux cents vétérans, des cosaques à barbes blanches, baisèrent ensuite la main de l’impératrice, et nous partîmes.

« Nous trouvâmes les cosaques en bataille sur le chemin, et, avec le prince, nous prîmes les devans. Nous nous arrêtâmes, à Pérékop, dans la maison du commissaire du sel, où il y avait un bon déjeuner prêt. L’empereur y arriva ; il était parti, à trois