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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/411

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flotte sur la petite carte qu’on lui présenta, Nassau lui offrit ses services pour l’en débarrasser. L’impératrice donna une chiquenaude au papier et se mit à sourire. Je regarde cela comme un joli avant-coureur d’une jolie guerre que nous aurons bientôt, j’espère…

«… Vous savez, dit l’impératrice, que votre France, sans savoir pourquoi, protège toujours les musulmans. » Ségur pâlit ; Nassau rougit ; Fitz-Herbert bâilla ; Cobentzel s’agita et je ris… Quand je parle de mes espérances à ce sujet à Ségur, il me dit : — Nous perdrions les Échelles du Levant. Et je lui réponds : — Il faut tirer l’échelle après la sottise ministérielle que vous venez de faire par votre confession générale de pauvreté à l’assemblée ridicule des notables. »

Mais puisque la correspondance du prince de Nassau ne reprend qu’à son entrée en Crimée (ou plutôt en Tauride, comme on disait alors pour plaire à Catherine, de même que le Dnieper était redevenu autour d’elle le Borysthène ; le prince de Ligne allait même jusqu’à changer Kief en Kiovie), arrivons tout de suite à ce moment-là.


« Comme le gouvernement de Tauride est la partie de notre voyage la plus intéressante, je vais en faire le journal afin, ma princesse, que vous sachiez ce que nous faisons dans ce beau pays.

« Nous avons déjeuné avec l’impératrice et je suis parti avec le prince Potemkin. Après avoir passé le Borysthène, nous trouvâmes les enfans des principaux Tartares qui venaient pour complimenter Sa Majesté. Nous leur parlâmes, puis nous continuâmes jusqu’à trente verstes du pont de pierre où nous devions coucher. Trois mille Cosaques du Don avec leur ataman nous attendaient là. Nous passâmes d’abord devant leur front qui est fort long, leur ordre de bataille étant sur un seul rang. Dès que nous les eûmes dépassés, ces trois mille hommes partirent à toute course, passèrent notre voiture en poussant leurs cris à leur manière. La plaine se trouva couverte en un instant et forma le spectacle le plus militaire et le plus susceptible d’animer que j’aie vu. Ils nous conduisirent jusqu’au relais, c’est-à-dire une douzaine de verstes, et ils s’y remirent en bataille. Dans le nombre, il y avait un poulque de Kalmouks ressemblant exactement à des Chinois. Arrivés au pont de pierre, nous y trouvâmes une jolie maison bâtie dans un petit fortin fait en terre situé au bout du pont, bâti par les Grecs, et trente tentes plus belles les unes que les autres pour nous loger ! L’impératrice arriva escortée, comme nous l’avions été,