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l’histoire passée et présente des Égyptiens ; il examine ensuite comment l’état social qui en dérive a été modifié, aggravé selon lui, par l’islamisme et par l’influence arabe, longtemps prépondérante sur le Nil. Ici, je suis bien forcé de relever une pointe de paradoxe dans l’argumentation de l’écrivain contre la civilisation arabe ; elle est spécieuse, elle entraîne d’abord, mais l’intelligence ébranlée se ressaisit vite, avec un sentiment d’insécurité. Plus d’une fois, en lisant M. d’Harcourt, j’ai pensé à un esprit de même nature, à cet érudit et spirituel comte de Gobineau, qui avait entrepris de refaire à sa façon l’histoire du vieil Orient. Il se plaçait au point de vue des Perses ; avec les rares documens de source iranienne, il s’efforçait de prouver que la Grèce fut une petite peuplade, écrasée, comme tant d’autres, par le Grand Roi, et que l’épisode insignifiant des guerres médiques nous est arrivé grossi et dénaturé par les hâbleries des historiens helléniques. Je me souviens du temps où les théories de Gobineau avaient plus ou moins séduit tous ceux qui s’occupaient de ces questions sur place ; tant il tirait un merveilleux parti de sa connaissance de l’Orient contemporain et des analogies qu’il excellait à grouper.

Nous avions tous cru jusqu’à présent qu’il fallait accorder au moins deux supériorités aux Arabes : l’invention d’une architecture originale et charmante, la création de foyers scientifiques dont le moyen âge occidental aurait largement bénéficié. Erreur, dit M. d’Harcourt ; et il n’épargne rien pour nous détromper. L’art élégant des architectes du Caire, de Perse et d’Espagne, il n’en fait pas grand cas ; à peine s’il consent à reconnaître une certaine noblesse dans la mosquée type de Sultan-Hassan, tout en la déclarant très inférieure aux édifices gothiques ; et il restreint au minimum la part d’invention du génie arabe dans les formes auxquelles le nom de cette race resté attaché. Je ne veux pas entamer des controverses archéologiques et esthétiques qui nous mèneraient trop loin ; mais si je vois bien dans une mosquée turque la lourde imitation des Byzantins, je ne puis retrouver des élémens grecs dans les dispositions générales et dans le détail ornemental de ces bijoux de pierre ou de stuc qui font la gloire du Caire ; du moins je les retrouve tellement transformés qu’ils en sont méconnaissables. Comme à tous les voyageurs sans parti-pris, les tombeaux dits des khalifes me représentent les plus gracieuses fantaisies qui soient jamais écloses de l’imagination des brodeurs de pierres ; et Sultan-Hassan, avec la tranquille hardiesse de ses lignes sévères, me paraît être l’une des plus magnifiques expressions de la pensée religieuse. Rien ne sort de rien, sans doute ; mais si l’on refuse aux Arabes le mérite d’avoir construit ces chefs-d’œuvre, je