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cherche vainement, dans tout ce que nous savons d’histoire, quels ouvriers auraient travaillé pour eux, et la source étrangère où ces artistes inconnus auraient puisé leurs inspirations.

En ce qui touche la renaissance scientifique, sous les grands khalifes, la thèse de M. d’Harcourt est celle-ci : les Arabes ne furent que les prête-noms des Grecs, qui ravivaient à ce moment les étincelles de l’ancien savoir ; les cavaliers du Hedjaz étaient incapables d’y rien ajouter ; la meilleure preuve de leur incapacité est le misérable état des écoles actuelles, certainement semblables à celles d’il y a dix siècles. Tous ces raisonnemens me paraissent fort aventureux. Je ne sache pas qu’il y eût beaucoup de Grecs à Bagdad et surtout à Samarcande ; les noms des savans musulmans qui s’illustrèrent dans ces universités n’ont pas péri ; et la décadence actuelle des grandes écoles asiatiques ne prouve point que leur splendeur de jadis ait été une pure fable. Mais revenons au Caire. Notre auteur est bien obligé de constater que les mahométans ont eu avant nous le souci de l’instruction primaire pour tous ; des fondations charitables, ces médressés qui entourent chaque mosquée, y pourvoient abondamment. Instruction très courte, sans doute ; il n’en est pas moins vrai que l’illettré complet n’est guère connu dans le monde musulman. Depuis combien de temps pouvons-nous en dire autant, et le pouvons-nous aujourd’hui ?

L’enseignement supérieur, tel qu’on le distribue à la mosquée d’El-Azar, n’inspire que de la pitié à M. d’Harcourt ; il nous parle fort irrévérencieusement de cette Sorbonne de l’Islam, où les prêtres et les juges de tout l’Orient musulman viennent chercher le prestige qu’un étudiant d’El-Azar rapporte aux confins de l’Afrique et de l’Asie. Je crains que l’écrivain français, contrairement à ses libres habitudes, n’ait regardé cette fois des choses lointaines en se plaçant dans le Paris de 1893 ; elles s’éclairent et se rapprochent, si l’on se reporte au Paris du XIIIe siècle. Arrêtons-nous un instant sur le parvis d’El-Azar, entre ces colonnes autour desquelles les groupes de disciples, accroupis en rond, écoutent les professeurs également accroupis, qui enseignent d’une voix nasillarde en dodelinant de la tête. J’ai passé de longues heures dans ce lieu et aux alentours, parce qu’il évoquait à mes yeux la fidèle image de la montagne Sainte-Geneviève et de la rue du Fouarre, à l’époque où l’on fabriquait nos vieux clercs par des procédés tout semblables ; avec cette seule différence que le droit canon et civil découlait chez nous de la Bible ; qu’il découle ici du Coran. Je résume brièvement les renseignemens que les professeurs m’ont fournis.