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le rentier paie beaucoup plus du sixième de son revenu. On a estimé néanmoins, et, selon nous, on a bien fait, qu’il fallait aller plus loin encore dans la voie du dégrèvement des impôts qui pèsent sur les classes les moins fortunées, quitte à rejeter le fardeau sur les autres. Ç’a été l’esprit qui avait dicté la réforme de la taxe des boissons, telle qu’elle a été votée par le sénat, et telle qu’elle aurait dû être adoptée par la chambre, pour être incorporée dans le budget de l’an prochain.

Cette réforme, attendue depuis un demi-siècle et principalement depuis quinze ans, comportait la suppression du droit de détail chez les débitans. Ce droit gothique du XIVe siècle, sur les boissons « vendues à pot et assiette », pèse exclusivement sur les individus qui ne peuvent avoir de provisions chez eux, soit parce qu’ils n’ont pas de chez eux, comme les ouvriers logés en garni, ou de professions nomades ; soit parce qu’ils n’ont pas assez d’argent, de crédit ou de place dans leur logement, pour acheter un fût de vin ou de cidre. Au lieu du droit de circulation de 1 et 2 francs par hectolitre de vin, ces catégories paient 12 pour 100 de la valeur des boissons consommées chez le débitant. Désormais la taxe eût été la même, dans les campagnes ou les petites villes, pour les débitans et pour les particuliers ; elle ne dépassait pas le droit de circulation actuel, qui était maintenu.

Quant au droit d’entrée urbaine, aujourd’hui perçu au profit du trésor sur les boissons hygiéniques, il eût été supprimé purement et simplement dans les villes qui ne perçoivent aucune taxe d’octroi sur ces liquides. Dans les villes qui conservent des taxes municipales de cette nature, — et c’est le plus grand nombre, pour ne pas dire la presque totalité, des 1,519 cités françaises ayant des octrois, — le droit d’entrée eût été réduit de 0,40 à 2 fr. 50 par hectolitre, c’est-à-dire à peu près à la moitié de ce qu’il est aujourd’hui ; et à partir de la mise en vigueur du nouveau régime, les tarifs d’octrois communaux auraient dû être ramenés au même chiffre que ceux des droits attribués à l’État.

La réforme de l’impôt des boissons se trouvait ainsi donner, dans une certaine mesure, satisfaction au vœu de la chambre, qui avait décrété ce printemps la suppression des octrois. Cette abolition d’environ 305 millions de recettes municipales, constituant à peu près les deux tiers des ressources des 36,000 communes françaises, prises en masse, n’aurait pu être opérée aussi brusquement sans danger ; la commission du sénat, chargée d’examiner le projet, s’était montrée formellement hostile à une opération aussi radicale. Elle avait fait remarquer, par exemple, que nos grandes villes sont presque toutes fort endettées, qu’elles ont à servir les intérêts et l’amortissement de lourds emprunts, qui se montent actuellement à 3 milliards 350 millions, sur lesquels la ville de Paris doit, à elle seule, plus de 2 milliards. La période de remboursement variant de vingt à quarante ans, l’avenir est lourdement grevé ; si l’on enlevait à ces municipalités l’ensemble du