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tuer. Cette baisse n’était nullement due à l’adoption, par l’Allemagne, de l’étalon d’or, comme l’ont cru quelques personnes peu au courant de la question. L’étalon d’or, inauguré à Berlin en 1873, et dont on célébrait à Berlin, le 9 juillet dernier, le vingtième anniversaire, avait pour conséquence la démonétisation théorique de 6 millions de kilos d’argent ; mais, en fait, le gouvernement allemand n’a pu se défaire que de la moitié environ de ce stock. Et cette masse de 6 millions de kilos, quand bien même l’Allemagne aurait pu la rejeter, de façon ou d’autre, depuis vingt ans, dans la circulation des autres pays, ne représenterait pas beaucoup plus que la production du métal blanc de la seule année 1892.

La vraie cause de dépréciation de l’argent a été le développement excessif de l’extraction minière depuis un quart ou un tiers de siècle. De 200 millions de francs par an vers 1862, nous voyons la production s’élever à 400 ou 450 millions vers 1872, à 600 millions vers 1882, et à plus d’un milliard en 1892. Voilà le fait capital. L’argent surabonde ; les mines d’où on l’extrait, soit seul, soit associé à quelque autre métal, croissent à la fois en nombre et en puissance.

En Europe, l’Angleterre et l’Allemagne se sont peu ressenties de la baisse, parce qu’elles étaient au régime de l’étalon d’or ; l’Autriche et la Russie ont été également peu éprouvées, parce qu’elles vivaient sous le règne du papier-monnaie. Quant à l’union latine (France, Italie, Belgique et Suisse), elle a amorti le choc en établissant pratiquement l’étalon d’or et en ne gardant qu’un bi-métallisme nominal. Il est, par conséquent, permis de dire qu’aujourd’hui le monde entier compte en or, que l’or est la seule monnaie internationale. Et la preuve, c’est que, dans le changement de valeur des deux métaux, par rapport l’un à l’autre, l’or n’a pas fait prime ; mais que l’argent a perdu un quart, un tiers et jusqu’à la moitié de son prix. Si l’on veut : on a évalué l’argent en monnaie d’or et non pas l’or en monnaie d’argent, comme on l’avait fait en des siècles antérieurs.

Cette situation ira-t-elle en s’aggravant ? Est-elle même définitive ? Rien ne permet de l’affirmer. L’histoire, cette grande école de scepticisme, nous apprend qu’on outre toujours les faits présens et leurs conséquences. Il suffirait, pour rétablir la valeur de l’argent, que des contrées nouvelles, comme l’Afrique, où la vie demeurera longtemps à bon marché, et exigera par suite, dans les transactions journalières, l’emploi d’un métal peu coûteux, fussent ouvertes à la civilisation. Il suffirait aussi que les mines d’or du Cap, qui actuellement ne produisent pas grand’chose, donnassent un rendement plus abondant, pour que l’or perdit de son prix par rapport au métal blanc.

Il est certain que, depuis les temps les plus reculés, on n’a jamais vu entre les deux métaux un écart aussi grand, une proportion aussi défavorable à l’argent. Dans l’antiquité, le kilo d’or ne valut jamais