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année en dehors du budget, parce qu’on n’a pas trouvé moyen de les y faire entrer ; témoin les obligations sexennaires que l’on renouvelle ; ce qui ne veut pas dire qu’on augmente la dette flottante, mais ce qui veut dire qu’on ne la rembourse pas. Or une dette flottante, que l’on ne rembourse pas et que l’on n’a aucune intention ni aucun moyen de rembourser, sur des ressources ordinaires et annuelles, ressemble étonnamment à une dette consolidée.

Ce budget même de 1894 ne doit son équilibre qu’à une somme de 40 millions, qui n’est autre chose que le montant probable de dépenses autorisées précédemment, que l’on pourrait faire, que l’on ne fait pas, du moins pour le moment, et que, par un singulier abus de langage que nul particulier n’oserait se permettre dans ses comptes privés, on se croit en droit d’appeler une recette. Tout cela ne veut pas dire que « la banqueroute soit à nos portes, » selon le cliché des esprits chagrins ou des organes de mauvaise foi ; mais les gens de sens rassis sont toutefois en droit de rappeler à ceux qui tiennent les clés du trésor national ce mot d’un surintendant de l’ancien régime que « le moment est venu de régler la dépense sur la recette, n’étant plus du tout moyen de régler la recette sur la dépense. »

C’est ce conseil que va suivre, il faut l’espérer, le congrès des États-Unis, convoqué extraordinairement pour le 7 août, par le président Cleveland, pour abroger la loi Sherman, qui oblige le trésor américain à des achats réguliers d’argent. Grâce à la détestable politique fiscale des républicains, le drainage de l’or a pris, au-delà de l’Atlantique, des proportions inquiétantes. Tous les mois, l’État jette dans la circulation pour 22 millions de francs de papier qu’il émet en échange des lingots d’argent achetés par lui aux mineurs. Le total des « bons de lingots » se monte actuellement à 2 milliards et demi, et est bien loin de valoir cette somme ; puisque le gouvernement achète l’argent au cours commercial, et que ce cours n’a cessé de baisser depuis 1890, où la loi dont il s’agit a été arrachée au congrès par des politiciens aux abois, désireux de se rattacher quatre ou cinq états miniers qui leur échappaient.

L’administration nouvelle, qui n’était nullement responsable de cette loi, désastreuse pour le crédit de la république, avait, depuis plusieurs mois déjà, fait connaître son intention d’en demander le retrait. Si la réunion du congrès, prévue d’abord pour le 1er septembre, est ainsi avancée de trois semaines, nos lecteurs savent quel en a été l’impérieux motif : la suppression de la frappe libre de l’argent aux Indes, et la baisse considérable du métal blanc qui en a été la conséquence. L’unité monétaire des Indes anglaises, où l’or n’existe pour ainsi dire pas dans la circulation, est la roupie d’argent, dont la valeur réelle était, jusqu’aux environs de 1874, de 2 fr. 40 ou 22 pence.

À cette époque survint la baisse, qui n’a cessé depuis de s’accen-