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d’affaires, des gens qui ne possédaient qu’une redingote et des relations. Si bien que nous avons vu un de ces « instantanés, » un entrepreneur de dixième ordre, faire une superbe faillite de 40 millions.

« Ah ! les beaux jours de folie ! De 1883 à 1887, nous avons vécu en pleine féerie. Les terrains vagues des nouveaux quartiers, les jardins, les vignes mêlées d’arbres fruitiers, les délicieuses vigne si chères aux Romains, s’achetaient au poids de l’or. Des princes dépeçaient eux-mêmes leurs palais et leurs parcs. Les banques de spéculation poussaient comme des champignons à l’ombre de nos grandes banques d’État. Il suffisait d’être connu de quelque employé supérieur, pour passer au guichet. Le candidat à la propriété foncière, sans argent, achetait un lot, une area fabbricabile. Il empruntait pour payer, et signait un billet à trois mois, renouvelable, qui était escompté en Italie, et, généralement, passait en France. La banque prenait hypothèque sur le terrain. On creusait les fondations. La banque reprêtait, pour construire le premier étage, et, l’étage bâti, prenait une nouvelle hypothèque, et ainsi de suite, jusqu’au pignon. Vous devinez si les murs montaient de tous côtés !

« Il s’en élevait tant que le nombre des logemens tendait à dépasser celui des locataires. Un commencement de malaise se manifesta. Il s’accrut des rivalités, vraies ou prétendues, entre la banque nationale et la banque romaine. Le bruit courait qu’elles ne s’entendaient pas comme deux sœurs. Mais enfin, nous nous en serions tirés, avec des prorogations et un krach modeste, comme toutes les nations s’en permettent, de temps à autre : la politique agressive de M. Crispi perdit tout. La France s’inquiéta. Vos banques devinrent réservées, puis décidément inhospitalières, et six ou sept cents millions de billets, ne trouvant plus de crédit, retombèrent sur la place de Rome.

« Ce fut la fin. Les banques de circonstance, voyant les sources tarir, refusèrent de prêter. Les entrepreneurs refusèrent, et pour cause, de rembourser. Les maçons descendirent des échafaudages, la truelle encore pleine. Les peintres s’arrêtèrent au milieu d’un filet. Les faillites de particuliers et de sociétés éclatèrent comme un chapelet de mines reliées entre elles. La panique s’en mêla. En vain, pour conjurer la crise, M. Crispi obligea-t-il la banque nationale à faire aux établissemens menacés une avance de 50 millions. Le désastre ne put être écarté. Les sociétés de crédit liquidèrent. À la place de l’argent qu’elles avaient dispersé, elles ne retrouvèrent que des immeubles, la plupart à moitié bâtis, les autres difficiles à louer parce que toute une armée d’employés, de directeurs et d’ouvriers avaient quitté Rome. Mais elles-mêmes