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étaient débitrices de grosses sommes envers la banque nationale. Elles passèrent leur actif à leur principale créancier», qui possède de ce chef, aujourd’hui encore, une partie notable des nouveaux quartiers. Voilà l’histoire. »

— Elle est simple en ce qui concerne les spéculateurs ordinaires. Mais comment expliquez-vous que de grands personnages, qui possédaient d’immenses fortunes, aient pu sombrer de la même façon ?

— Vous faites allusion à des princes ? Ne nommons pas… Tout le monde sait… Mais, en effet, monsieur, c’est une chose très étonnante, d’autant plus que le patriciat romain, surtout le monde noir, ne prodigue pas l’argent en réceptions, vit simplement, et, s’il n’a pas de dettes anciennes, venues d’héritage, offre l’exemple de ces belles fortunes, sans fissures, qui paraissent à l’abri même d’une imprudence. Malheureusement ici l’imprudence fut énorme, difficile à concevoir. Celui auquel vous pensez, comme j’y pense moi-même, avait surtout une fortune territoriale. S’il se fût contenté de vendre ses terrains, il aurait gagné. Mais il voulut jouer à lui seul le rôle d’une société. Il emprunta pour prêter aux entrepreneurs, et ne prit pas même hypothèque. N’étant pas payé, il renouvela ses engagemens, et laissa les intérêts s’accumuler. Au bout de peu d’années, les quelques millions empruntés au début étaient devenus 30 millions, et la faillite générale le surprit avec cette dette énorme, des débiteurs insolvables et sans garantie, et des terres hypothéquées, dépréciées par la crise.

— Et le pape ? Est-il vrai que le saint-siège ait engagé et perdu des capitaux dans l’affaire ?

— Oui et non. La chose a été exagérée et surtout mal expliquée. Je crois la bien connaître. Vous saurez donc qu’un prélat romain, Mgr Folchi, administrait les finances du saint-siège, avec une commission de trois cardinaux, n’ayant que voix consultative. Peu à peu, il s’abstint de conférer avec la commission, et, sachant l’activité de Léon XIII et le plaisir qu’il éprouve à faire le plus de choses possible par lui-même, se borna à prendre l’avis du pape, quand il en était besoin. Or, au moment où Rome s’abandonnait aux spéculations que je vous ai racontées, et cherchait partout des prêteurs, on représenta, de divers côtés, au saint-père, qu’au lieu de placer en Angleterre ses capitaux de réserve, il ferait mieux et plus patriotiquement, il rendrait service au peuple de Rome, en achetant des actions de plusieurs compagnies romaines. Les valeurs se tenaient alors assez bien. Le pape suivit le conseil. Plus tard, la noblesse, engagée dans les affaires de terrains et de constructions, lui demanda de lui emprunter. C’est une tradition très ancienne et très naturelle des pontifes romains, d’aider de leurs deniers les familles princières. Le pape prêta donc, d’abord en