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prenant hypothèque. Puis on se relâcha des précautions nécessaires. Mgr Folchi, et c’est la grave erreur qu’on lui reproche, consentit à recevoir en nantissement des titres de ces mêmes sociétés, qui devaient ou crouler, ou perdre la moitié de leur valeur, quelques mois plus tard. Ces générosités accompagnées d’imprudences causèrent de gros embarras au saint-siège. On a dit qu’il avait perdu ainsi vingt millions. Cela eût été possible, s’il avait fallu réaliser de suite l’actif de créances et de gages. Mais une liquidation patiente donnera des résultats infiniment moins mauvais. Toutefois, vous ne serez pas étonné d’apprendre que l’ancienne commission de trois cardinaux a été rétablie, et qu’elle a aujourd’hui, en matière de finances, voix délibérative.

Le commandeur m’avait répondu sur un ton de conversation aisée, avec une sorte de dilettantisme où je devinais le plaisir de jouer avec les mots et les souvenirs, de couvrir et de découvrir les personnes. Quand il en fut rendu à ce point, il changea brusquement de physionomie, et me dit, me regardant, avec une petite flamme dans les yeux :

— Maintenant, allez voir. Mais ne soyez pas injuste. Rappelez-vous qu’au début tout au moins de cette entreprise inachevée, il y a eu un enthousiasme, un désir d’embellissement, une illusion peut-être sur la grandeur future de Rome, qui peut servir d’excuse à plus d’une faute, et qu’au surplus nous n’avons pas le monopole des affaires qui tombent !


J’allai donc voir, et j’avoue que j’avais été très prévenu, contre les nouveaux quartiers, par plusieurs de mes amis qui les avaient visités. Mes premières promenades me conduisirent, par mille détours voulus, du Pincio à la gare, de la gare à Sainte-Marie-Majeure, de Sainte-Marie-Majeure à Saint-Jean de Latran et au-delà, hors les murs. Voici, rapidement, l’impression qu’elles m’ont laissée.

En-deçà de la porte Pinciana, un grand nombre de maisons ont été construites sur l’emplacement de l’ancienne villa Ludovisi, dont on a conservé le casino, orné de fresques du Guerchin. Le prince Buoncompagni s’est fait bâtir un palais entouré de jardins moins vastes que les anciens, mais très beaux encore. Partout aux environs, les rues larges, bien tracées, manquent de ces merveilleuses apparitions de palmiers en gerbes et de chênes verts ondes, qui ravissent le regard quand on monte vers les collines de l’ancienne Rome. Elles sont bordées de palais, la plupart loués par étages, carrés, d’une blancheur neuve, ou, plus souvent encore, peints en jaune pâle. Via Sardegna, via Ludovisi, via Buoncompagni, via Sallustiana, le style est le même. On croirait reconnaître