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mot, c’est le vaste haut plateau, élevé de 30 ou 40 mètres en moyenne au-dessus du niveau de la mer, qui enveloppe la ville et décrit autour d’elle une sorte de triangle. Le plus long côté, 90 kilomètres, s’étend sur la Méditerranée, de Santa-Severa, au nord, à Astura, près de Porto d’Anzio. Le second côté va de Santa-Severa jusqu’au pied des Apennins d’où descend l’Aniene. Le troisième rejoint la mer, laissant à gauche les montagnes d’Albano. Ainsi dessiné, ce territoire correspond à peu près à celui de la commune de Rome, la plus grande de toute l’Italie, qui comprend 212,000 hectares. La ville éternelle est posée au milieu de cette immense étendue presque déserte, sans la moindre cité rivale, « seule comme le lion, » disent les Italiens[1].

Rien n’est plus hasardeux qu’une statistique de l’Agro. Hommes et bêtes y sont migrateurs. Cependant les comices agricoles assurent que l’Agro nourrit environ 6,000 bœufs et taureaux, 18,000 vaches, 7,000 chevaux et jumens, 12,000 chèvres et 320,000 brebis. Le gros bétail ne quitte pas la campagne, mais les brebis descendent en automne, des hauts pâturages de montagnes, et y remontent quand arrive l’été. Elles constituent la principale richesse des domaines, et forment, le plus généralement, des troupeaux de plusieurs milliers de têtes. Leur fromage frais, la ricotta, fait les délices des Romains ; leur fromage dur, formaggio pecorino rappelle la patrie absente aux matelots des deux marines.

Le personnel chargé de la conduite et du soin de ces bandes d’animaux n’est pas considérable. Mais il est fort intéressant, à cause de ses mœurs et de sa hiérarchie traditionnelle. Vous avez peut-être rencontré, dans les quartiers extrêmes de Rome, ou même de bonne heure, traversant le Corso, un cavalier vigoureux, brun, coiffé d’un grand chapeau mou, les épaules couvertes d’un manteau noir à doublure verte, très ample, qui tombe jusqu’au milieu des bottes, et tenant à la main une lance de bois ferré. C’est le buttero de la campagne, le gardeur de chevaux ou de vaches, l’errant qui passe sa vie à poursuivre ses bêtes égarées, les fait changer de pâturages, et travaille leur lait. Il est aussi bon cavalier que les hommes de Buffalo-Bill, avec lesquels il a lutté à Rome, dans un tournoi mémorable, si bien que le « colonel » lui-même, admirant ses rivaux, prononça leur éloge en ces termes : « Moins de légèreté, autant de solidité, intrépidité égale, bonne connaissance de leur métier avec des intermittences de bordées terribles :

  1. Voyez Monografia della città di Roma et della campagna romana, publiée par le ministère de l’agriculture, vol. 1. Étude sur les conditions topographiques et physiques de Rome et de sa campagne.