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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/580

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en conflit avec le gouvernement, on les verra renaître de leurs cendres.

Puisque la question de l’organisation de la défense est actuellement posée devant l’opinion, n’y aurait-il pas intérêt et profit à interroger le passé et à faire appel au témoignage de l’histoire ? On paraît trop oublier, en effet, lorsqu’on parle de supprimer l’ordre des avocats, que l’expérience a été faite il y a cent ans, que l’assemblée constituante a ouvert à tous l’accès de la barre, et que les tribunaux de l’époque révolutionnaire ont vu les avocats sans toque ni diplôme réclamés par Vallès. Quels furent les résultats de cette innovation ? Les plaideurs furent-ils mieux défendus, les juges mieux secondés ? Ou bien, au contraire, ces hommes de loi improvisés, dont aucune discipline ne contenait les écarts, ont-ils peut-être apporté dans le sanctuaire de la justice des mœurs scandaleuses et transformé une noble profession en un honteux trafic ? Voilà, ce nous semble, un point qui vaut la peine d’être étudié par tous ceux qui se préoccupent, sans haine et sans parti-pris, de l’organisation du barreau.

Aussi bien, même en s’élevant au-dessus des polémiques actuelles, il nous paraît intéressant de fixer un point d’histoire trop négligé jusqu’à ce jour par ceux qui se sont occupés de l’époque révolutionnaire. Les historiens du barreau eux-mêmes sont fort laconiques sur cette période de vingt années : ils en disent assez pour piquer notre curiosité, trop peu pour la satisfaire. Lorsqu’on nous raconte qu’une assemblée dirigée par des avocats a condamné à mort l’ordre auquel elle devait ses chefs les plus écoutés, nous voudrions pénétrer les causes de cette résolution qui nous surprend et nous déconcerte ; nous voudrions savoir par quelles idées les membres de la Constituante se sont laissé guider, à quels sentimens ils ont obéi en supprimant une institution qui avait la bonne fortune de n’être point impopulaire. On répète couramment que les exactions commises par les nouveaux défenseurs révoltèrent la conscience publique, qu’ils introduisirent un effroyable désordre dans l’administration de la justice, si bien que Napoléon, en dépit de son aversion instinctive pour les avocats, fut amené presque malgré lui à rétablir l’antique discipline. Ce récit nous paraît vraisemblable ; encore ne serait-il pas inutile de l’appuyer sur quelques preuves, de produire quelques témoignages qui donneraient au verdict sévère rendu sur les défenseurs officieux une autorité indiscutable.

En un mot, l’histoire du barreau libre, de son institution, de son fonctionnement, de son déclin, n’a point été faite jusqu’ici ; et cependant, sans parler des enseignemens qu’elle pourrait fournir