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du marais, comme on les appelait à la fin de la Révolution, mériterait d’être racontée en détail : peut-être l’essaierons-nous quelque jour. Pour le moment revenons aux véritables représentans du barreau libre, occupons nous des nouveaux-venus qui profitèrent des décrets de 1790 pour se présenter à la barre en qualité de défenseurs officieux. Comment se sont-ils comportés ? Comment ont-ils compris et rempli leur mission ?

Ce qui nous frappe tout d’abord, c’est qu’à l’inverse des anciens avocats, ils n’ont jamais cherché à se rapprocher les uns des autres. Très différens d’origine, de mœurs, de sentimens, ils restaient isolés. Point de règles professionnelles communes : chacun d’eux exerçait son ministère à sa guise. Point d’esprit de corps, point de confraternité.

C’étaient, pour la plupart, des agens d’affaires que l’ordre des avocats et la corporation des procureurs avaient toujours eu soin de tenir à l’écart. Mais toutes les classes de la société, les plus basses surtout, avaient fourni leur contingent au barreau libre. Jamais, en effet, l’éloquence n’avait été aussi répandue. Les clubs, les sociétés populaires, les comités révolutionnaires qui pullulaient à Paris et dans les grandes villes, avaient mis la parole publique à la mode. Ne voyait-on pas un acteur lire une adresse pompeuse à la Constituante, au nom d’une délégation des électeurs parisiens qui venait rendre compte à l’assemblée de l’élection des nouveaux juges ? Le premier venu s’improvisait orateur, et la liberté du barreau venait à point pour offrir un aliment nouveau à cette manie de pérorer en public. Des sots prétentieux, qui avaient appris une douzaine de phrases creuses dans les ouvrages de Rousseau ou dans les brochures de Sieyès, et qui avaient essayé leur talent, debout sur une chaise, aux soirées tumultueuses du Palais- Royal, se croyaient capables de défendre leurs concitoyens en justice ; et d’anciens laquais, formés à la parole au club des Jacobins, s’avisaient de plaider.

Un contemporain raconte qu’il a vu et entendu un porteur d’eau défendre une femme publique, à laquelle son propriétaire avait donné congé, sous prétexte de scandale. Il protestait contre cette expulsion et essayait de prouver que la profession de sa cliente ne pouvait plus scandaliser personne, depuis que le fanatisme était aboli. Il paraît que le juge n’avait point une morale aussi large : indigné, il se leva de son siège, prit le rustre par les épaules et le mit à la porte du prétoire.

Descendons encore plus bas : parmi les défenseurs officieux, on voyait jusqu’à des repris de justice. Un individu qui avait été condamné à quatre ans de fer, et qui était privé par conséquent